1757-02-04, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis François Armand Du Plessis, duc de Richelieu.

Je ne sçais si mon héros aura déjà reçu un fatras d'histoire qui commence à Charlemagne et même plus haut et qui finit par le vainqueur de Mahon.
Vous n'aurez guères monseigneur le temps de lire dans votre année d'exercice. Cet exercice a été violent dans ces dernières horreurs. Vous voiez des choses bien extraordinaires, mais vous en verrez des exemples dans le fatras que j'ay l'honneur de vous envoier. Il est en feuilles. Je n'ay point de relieur à Monrion, et je crois que vos livres ont une reliure particulière.

Le Roy de Prusse vient de m'écrire une lettre tendre. Il faut que ses affaires aillent mal. L'autocratrice de touttes les Russies veut que j'aille à Petersbourg. Si j'avais vingt cinq ans je ferais le voiage.

Le Kain veut en faire un et il se flatte que vous luy donnerez permission d'aller précher à Marseilles à pâques. Je n'ose vous en supplier. Il n'apartient point à un Suisse de parler des acteurs de Paris. Ce n'est pas assurément le temps de parler de comédie. Il y a des tragédies bien abominables en France qui prennent toutte l'attention.

Ce pauvre monsieur Dargenson de l'académie des belles lettres, que vous appeliez le secrétaire d'état de la république de Platon, est donc mort? Il était mon contemporain. Il faut que je fasse mon paquet. Jouissez mon héros de votre gloire et d'une vie heureuse et longue. Les héros vivent plus longtemps que les philosofes. J'en excepte Fontenelle dont je vous souhaite l'estomac et les cent années. Vous voilà doyen de l'académie. C'est une bien belle place. Mais il la faut conserver. Conservez moy aussi vos bontez. Les deux suisses vous adorent.

V.