à Monrion près de Lausane 6 février 1757
Moy aller à Petersbourg mon cher ange.
Savez vous bien que ma petite retraitte des Délices est plus agréable que le palais d'été de l'autocratrice? Si Dosmont joue la comédie je la joue aussi; et je fais le bon homme Lusignan dans huit jours, cela me convient fort
Nous avons un bel Orosmane, un fils du général Constant qui a soupé avec vous à Argenteuil avec mademoiselle du Bouchet. Votre tragédie de Pierre Damien et de tant de fous n'est donc pas encor finie? je ne sçais pas pourquoy les comédiens ne hazardent pas Mahomet dans ces circomstances.
Vous avez une belle âme d'aimer toujours le tripot au milieu de touttes les atrocitez qui vous entourent. Les plus sages sont assurément ceux qui cultivent les arts et qui aiment le plaisir tandis que les autres se tourmentent.
Le Roy de Prusse m'a écrit de Dresde une lettre très touchante. Je ne crois pourtant pas que j'aille à Berlin plus qu'à Petersbourg. Je m'accomode fort de mes suisses et de mes genevois, on me traitte mieux que je ne mérite. Je suis bien logé dans mes deux retraittes, on vient chez moy, on trouve bon qu'en qualité de malade je n'aille chez personne. Je leur donne à dîner et à souper et quelquefois à coucher. Madame Denis gouverne ma maison. J'ay tout mon temps à moy. Je grifonne des histoires. Je songe à des tragédies; et quand je ne soufre point, je suis heureux. Vous m'avouerez que ce Dosmont a tort de vouloir que je quitte tout cela pour l'aller entendre à Petersbourg. S'il avait vu mes platebandes de tulippes au mois de février, il ne me proposerait pas ses glaces.
On dit que mademoiselle Dumenil et le Kain se sont en effet surpassez dans Sémiramis. L'abbé coadjuteur de Rets n'aurait il pas mieux fait d'aller lâ qu'à son abaÿe? Adieu mon cher et respectable ami, il n'y a que vous de sage. J'y compte aussi les anges.
Le suisse V.