1777-01-24, de Voltaire [François Marie Arouet] à Catherine II, czarina of Russia.

Madame,

Votre sujet moitié suisse, moitié gaulois, nommé Voltaire était près de mourir il y a quelques jours.
Son confesseur catholique apostolique romain, c'est à dire universel, coureur de Rome, vint pour me préparer au voyage. Le malade lui dit, mon révérend père, dieu pourrait bien me damner. Et pourquoi cela, vieux bonhomme? me dit le prêtre. Hélas! lui répondis je, c'est qu'on m'a accusé auprès de lui d'être un ingrat. J'ai été comblé des bontés d'une autocratrice qui est une de ses plus belles images dans ce monde, et je ne lui ai point écrit depuis plus d'un an. Qu'est ce qu'une autocratrice? me dit mon vilain. Eh pardieu! lui dis je, c'est une impératrice. Vous êtes un grand ignorant; et cette impératrice fait du bien depuis le Kamtschatka jusqu'en Afrique. Oh si cela est, repartit le prêtre, vous avez bien fait. Elle n'a pas de temps à perdre. Il ne faut pas ennuyer une autocratrice impératrice bienfaitrice occupée du soir au matin, tantôt à battre les Turcs, tantôt à leur donner la paix, ou bien à couvrir de vaisseaux la mer Noire, et qui s'amuse à faire fleurir onze cent mille lieues carrées de pays. Allez, allez, je vous donne l'absolution.