1757-02-24, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Rousseau.

C'est pour la quatrième fois monsieur que j'écris aux frères Crammer, libraires, pour leur recommander de vous envoier l'essay sur l'histoire générale depuis Charlemagne jusqu'à 1756.
Je suis en droit d'attendre cette attention de ceux à qui j'ay fait présent de mon ouvrage. L'ainé Crammer est à présent en Hollande et doit sans doute vous faire parvenir cette histoire. Ce sont ces frères Crammer qui m'ont déterminé à m'établir où je suis. Ils voulaient imprimer mes ouvrages. Il fallait que je veillasse à l'impression. La besogne a duré près de deux ans. J'ay des amis dans ce pays cy. J'y ay trouvé des situations plus agréables que Meudon et St Clou, des maisons commodes; je me suis établi pour l'hiver auprès de Lausane, et pour les autres saisons auprès de Genève. Mais ce que j'ay trouvé de plus commode parmy ces calvinistes très différents de leurs ancestres, c'est que j'ay fait imprimer à Geneve avec l'approbation universelle que Calvin était un très méchant homme, altier, dur, vindicatif et sanguinaire. C'est ce que vous verrez dans cette histoire générale. Geneve est peut être à présent la ville de l'Europe où il y a le plus de philosofes. Je suis très fâché que cette histoire ge͞nale ne soit pas encor parvenue jusqu'à vous.

A l'égard de ce portefeuille trouvé c'est une rapsodie qu'un libraire affamé nommé Duchene vend à Paris sous mon nom. C'est un nouvau brigandage de la librairie. On me mande que les trois quarts de ce receuil sont composez de pièces aux quelles je n'ay nulle part, et que le reste est pillé des éditions de mes ouvrages et entièrement défiguré.

Il n'y a pas grand mal à tout cela, et je pardonne aux misérables à qui mon nom vaut quelque argent, je […..]s plus sa [….]