1757-01-03, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis François Armand Du Plessis, duc de Richelieu.

L'humanité et moy nous vous remercions de votre lettre.
J'en ay donné copie selon vos ordres monseigneur. Si elle ne fait pas baucoup de bien à l'amiral Bing, elle vous fera au moins baucoup d'honneur. Mais je ne doute pas qu'un témoignage comme le vôtre ne soit d'un très grand poids. Vous avez contribué à faire Blakeney pair d'Angleterre, vous sauverez l'honneur et la vie à l'amiral Bing.

Le mémoire de l'envoyé de Saxe présenté aux états généraux, et qui est une réponse au mémoire justificatif du Roy de Prusse fait partout la plus vive impression. Je n'ay guères vu de pièce plus forte et mieux écritte. Si les raisons décidaient du sort des états le roy de Pologne serait vangé, mais ce sont les fusils et la marche redoublée qui jugent les causes des souverains et des nations.

Les prussiens ont quitté Leipsik, ils sont en Luzace où l'on se bat au milieu des neiges. On me mande de Vienne qu'on y a une crainte de ces prussiens très indécente. Je voudrais vous voir conduire contre eux guaiment des français de bonne volonté, et voir ce que peut sous vos ordres la furia francese contre le pas de mesure et la grave discipline. Mais je craindrais que quelque balle vandale n'allast déranger l'estomac du plus aimable homme de l'Europe.

Je vous écris monseigneur dès que j'ay quelque chose à vous mander. Alors mon cœur et ma plume vont vite. Mais quand je ne vois que mes arbres et mes paperasses, que voulez vous que le suisse vous mande? Mes paroles oiseuses auraient elles beau jeu au milieu de touttes vos occupations, de tous vos devoirs, des tracasseries parlementaires et épiscopales, et de la crise de l'Europe? vous voylà t'il pas bien amusé quand je vous souhaiterai cinquante années heureuses, quand je vous dirai que la suisse D. et le suisse V. vous adorent? Vous avez bien affaire de nos sornettes! Conservez moy vos bontez, et agréez mon très tendre respect.