1759-05-10, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Robert Tronchin.

Le bon homme patriarche du pays de Gex voit mon cher correspondant qu'il a plus de beufs, de vaches et de moutons que vous n'avez à luy de sacs de mille livres.

Non seulement vous avez donné pour l'achat de ma terre promise 162150H
mais vous m'avez encor envoyé £ 24000
et en payements à mr Cathala et en fournitures vous aurez à vue dépensé à peu près en diverses fois 10000
ce qui joint à la traitte sur le baron 90000
fait environ 286150H

Cela posé je ne vois pas trop comment je pourais demander encor environ trente deux mille livres pour arondir mon domaine patriarcal. Il me semble qu'il ne me resterait rien ou presque rien. Il est bon d'avoir des terres mais il faut aussi avoir des chausses. J'attendrai jusqu'à la fin du mois pour recevoir vos avis et pour me déterminer. En attendant je me borne à donner des chausses à mes gens, et des galons unis et peu chers à leurs chapaux, mode à mon gré très impertinente. Si leurs boutons pouvaient être de drap, je crois que cela serait moins cher que du cuivre. Pour leurs galons en voylà la dimension. Je voulais m'adresser à Turin mais je donne la préférence à Lyon puisque vous y êtes, et je n'ay recours qu'à vous. Il faut bien me soumettre à vos volontez.

Vos Délices sont charmantes, la terrasse sur votre grand chemin de Lyon augmentera bien le prix de cette retraitte. Il ne faudra pas dire que le terrain est maudit de dieu. Il l'est terriblement. Je crois que les cendres de Servet volèrent dans le potager et le rendirent stérile.

Madame Denis et moy nous vous renouvellons les plus tendres et les plus sincères amitiez.

V.