1756-05-26, de Voltaire [François Marie Arouet] à Élie Bertrand.

Mon cher monsieur, notre hôte du Faucon doit me pardoner de ne pas acheter ses tableaux, attendu que les dépenses nécessaires vont avant le superflu, et qu'il faut commencer par avoir du linge et des commodes avant d'avoir des curiositez.
Je pourai à mon retour à Berne consoler notre ami Fersen par quelques achats, car assurément je reviendrai vous voir. Quant aux six louis d'or je les luy donne du meilleur de mon cœur. Je voudrais luy en avoir donné quatre fois davantage et avoir demeuré quatre jours de plus auprès de vous; il est vrai que tous nos gens ayant leur argent à dépenser, indépendamment de ces six louis, made Denis, ma trésorière, avait trouvé la somme un peu forte, et que jugeant par là du prix des tablaux elle a mieux aimé mettre mon argent à des draps et à des serviettes, ainsi en brave œcononome elle a donné la préférence à mr Panchaud. Au reste j'ay écrit un petit mot de consolation à cet honnête cabaretier en dépit des vers d'Horace, cauponibus atque malignis, perfidus hic caupo.

Je suis très inquiet de la santé de Mr le banneret. La mienne est pire que jamais. Je vous embrasse tendrement.

V.

Point de nouvelles encor des fous français et des fous anglais. Point de bataille navale, et le fort Mahon est prest de se rendre.