1774-04-26, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, king of Prussia.

Sire,

Permettez moi de parler à Vôtre Majesté de vôtre jeune officier à qui vous avez donné la permission de venir chez moi.
Je croiais trouver un jeune Français qui aurait encor un petit reste de l’étourderie tant reprochée à nôtre nation. J’ai trouvé l’homme le plus circonspect et le plus sage, aiant les mœurs les plus douces, et aimant passionément la profession des armes à laquelle il s’est voué.

Je ne sais encor s’il réussira dans ce qu’il entreprend, mais il m’a dit vingt fois qu’il ne quitterait jamais vôtre service, quand même il ferait en France la fortune la plus brillante et la plus solide. Je n’étais pas suffisamment instruit de sa famille, et de son étonnante affaire. C’est un bon gentilhomme, fils du premier magistrat de la ville où il est né. J’ait fait venir les pièces de son procès. Je ne sors point de surprise quand je vois qu’elle a été sa faute, et qu’elle a été sa condamnation. Il n’est chargé juridiquement que d’avoir passé fort vite, le chapeau sur la tête à quarante pas d’une procession de capucins, et d’avoir chanté avec quelques autres jeunes gens une chanson grivoise faitte il y a plus de cent ans.

Il est inconcevable que dans un païs qui se dit policé, et qui prétend avoir quelques citoiens aimables, on ait condamné au suplice des parricides un jeune homme sortant de l’enfance, pour une chose qui n’est pas même une pécadille, et qui n’aurait été punie ni à Madrid, ni à Rome de huit jours de prison.

On ne parle encor de cette avanture dans l’Europe qu’avec horreur, et j’en suis aussi frapé que le premier jour. J’aurais conseillé à Mr De Morival, votre officier, de ne point s’avilir jusqu’à demander grâce à des barbares en démence si cette grâce n’était pas nécessaire pour lui faire recueillir un héritage qu’il attend.

Quoi qu’il arrive il restera chez moi jusqu’à ce que son affaire soit finie ou manquée; et il profitera de la permission que Vôtre Majesté lui a donnée. Il reviendra à son régiment le plutôt qu’il poura, et le jour que vous prescrirez.

Je remercie Vôtre Majesté d’avoir daigné me l’envoier. Je me suis attaché à lui de plus en plus, et sa passion de vous servir toujours, est une des plus fortes raisons des sentiments que j’ai pour lui. J’ose vous assurer que personne n’est plus digne de votre protection; la pitié que son horrible avanture vous inspire, fera la consolation de sa vie, si malheureusement commencée et qui finira heureusement sous vos ordres. La mienne est accablée des plus grandes infirmités, vos bontés en adoucissent l’amertume, et je la finirai avec des sentiments qui ont toujours été invariables, avec le plus profond respect pour Vôtre Majesté, et j’ose le dire avec le plus tendre attachement pour vôtre personne.

Le vieux malade de Ferney V.