1740-11-24, de Voltaire [François Marie Arouet] à Nicolas Claude Thieriot.

J'ay receu mon cher monsieur votre lettre du 7.
Je commence par vous dire que je viens de parler à sa majesté en présence de Mr de Keiserling. Les sentiments de ce grand homme sont dignes de ses lumières. Il a dans l'instant réglé tout ce qui vous regarde; il se réserve le plaisir de vous en faire instruire luy même.

J'ay tout lieu de croire que Dumollar sera content. Pour moy je le suis plus que personne d'avoir vécu huit jours auprès d'un homme que tout le monde se disputeroit à Paris, et qui n'a nul besoin d'être Roy. Monsieur de Maupertuis est icy, mais il est enfoncé dans ses calculs. Je suis une passade et j'ay eu l'agrément des coqueteries. Je pars, car c'en est trop que d'avoir quitté huit jours ses anciens amis pour un souverain quelque aimable qu'il puisse être. Monsieur Algaroti, n'est point venu au Marly de Rinsberg, il fait l'amour à Berlin, et il fait aussi la vie de Cesar; le premier employ n'est pas le pire des deux.

Il n'y a que mes ennemis qui puissent dire que je me porte bien. Je suis tout comme à l'ordinaire; malade ambulant, poète filosofe et toujours votre véritable amy.

Votre pension n'est pas mauvaise. Vale.

Je vous prie de voir mr Gresset. S'il savoit comme j'ay parlé de luy au roy, il m'aimeroit un peu. J'espère qu'il sera un des ornements de la cour de Berlin. Il s'apercevra que je connois l'estime pour les talents, et non la jalousie.

Vous savez que sa majesté a offert douze mille livres de pension à monsieur de Maupertuis pour le retenir et qu'il donne à chaque académicien huit mille livres.

Il fait bâtir un palais, une salle pour les académies, une salle d'opéra, une de comédie, il engage des artistes de toute espèce et il a cent mille soldats bien nourris, bien payez, et bien vêtus.

Vale.

Que les blancs becs de Paris disent ce qu'ils voudront. Mille compliments au sage hollandois.