5e 7bre 1768
Je reçois vôtre Lettre de ce 27 auguste appellé Aoust par les barbares.
Il est midy, je ne sais si ma Lettre partira aujourd'hui. Je me hâte toujours de vous dire que Dupuits a lu la facétie, qu'elle n'est point de moi, qu'elle est de Des Mahis que vous avez connu. Le sujet m'en a paru si intéressant et si conforme à ce qui se passe aujourd'hui dans une partie de l'Europe, que je crains beaucoup que la pièce ne soit pas jouée, surtout si elle passe pour être d'un autre que de Des Mahis. Il faut que tout ce qui est à Hornoy s'en amuse; mais il faut garder le plus profond secret. Le moindre soupçon sur moi ferait naître mille allusions auxquelles je suis sûr que l'auteur n'a jamais pensé. Ce qui serait innocent pour Des Mahis pourait me rendre très coupable, tant la calomnie est aveugle. Jurez moi donc un secret éternel tous tant que vous êtes. Cette lettre est pour vous tous que j'embrasse bien tendrement.
Je ne sais si les habitans d'Hornoy ont reçu un petit écrit traduit de l'italien concernant les droits du Pape sur le roiaume de Naples, sur les états du Duc de Parme, et sur quelques autres principautés. L'ouvrage m'a paru curieux et instructif. La pièce de Des Mahis le serait bien d'avantage.
Monsieur, ou Madame Deflorian est prié ou priée de mander si on peut leur adresser des paquets par Mr De Courcelles. La voie de Mr De Chenevieres ne me parait pas fort sûre. Il m'a toujours paru qu'on ne respectait pas beaucoup ses paquets à la poste.
Je ne serai pas étonné si Tronchin se trompe sur D'Amilaville. Il avait condamné D'Aumart à mourir dans deux jours, et il y a neuf ans qu'il est en vie pour son malheur. Quand Tronchin se trompe il a la gloire de passer en celà tous ses confrères; personne ne fait de plus grandes enjambées que lui dans le chemin de l'erreur; quelquefois il rencontre juste, mais quand il se fourvoie il est à cent lieues.
Adieu mes chers habitans d'Hornoy, je vous embrasse à plus de cent lieues le plus tendrement du monde.