1768-10-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Louise Denis.

Je vous ai envoié, ma chère nièce, au 1er du mois un paquet par Mr De Chenevieres comme vous me l'aviez recommandé expressément.
Je vous en donnai avis par une Lettre particulière adressée rue Bergere, et en cas d'absence chez Mr d'Hornoy. Je n'ai eu de réponse ni de vous, ni de mr de Chenevieres, et j'ignore encor si le dérangement des postes causé par l'arrangement de Versoy n'a pas nui à mon paquet.

Je vous ai écrit aussi au sujet de made De st Julien. Mandez moi, je vous prie, si vous avez reçu mon paquet et mes deux Lettres. Je soupçonne que les embaras de vôtre nouvel établissement ne vous ont pas encor permis de m'en donner des nouvelles. Instruisez moi aussi des marches de l'abbé Mignot, est-il encor à Hornoy? est-il à Paris? Je lui dois une réponse et je ne sais où l'adresser. Je souhaitte aux autres provinces de la France un meilleur tems que celui du petit païs de Gex. La terre est imbibée d'eau, on ne peut semer, les maladies règnent. Vous mourriez d'ennui et de rumatismes à Ferney. Il n'y a qu'un travail assidu qui puisse y faire suporter la vie, et c'est ma seule ressource.

J'imagine que vous attendez Le Kain pour prendre une résolution au sujet de la pièce de Linan. Je crois cette affaire plus délicate encor que celle de Mahomet. Si vous réussissez vous serez immortalisée chez les Guêbres comme chez les arabes.

Ma Lettre est courte, mais ma tendresse pour vous sera aussi longue que ma vie. J'ai vingt lettres à répondre aujourd'hui. Je vous embrasse bien tendrement.

V.

Je reçois dans le moment vôtre Lettre du 9e octobre. Je ferai tout ce que vous voudrez, je vous enverrai les papiers et vous en userez comme il vous plaira. Je tiens l'affaire palatine et virtembergeoise très sûre, de quelque manière que vous vous y preniez.

J'ai mandé, comme je vous l'ai dit, à Made de st Julien, que vous étiez engagée avec Guêtri. Vous pouvez ajouter que le jeune auteur du Duc de Benevent vous en a prié, et que la première facétie que vous aurez de ce jeune homme sera pour Montsivri. Je crois qu'on peut faire une excellente musique du Beneventin. J'en ai toute la déclamation dans la tête. Je serais aureste très fâché d'être soupçoné d'une plaisanterie qui ne convient qu'à l'âge de vingt quatre ans, et je compte sur vous pour dérouter les devineurs. Tout celà vous amusera si vous croiez la chose amusante, sinon il n'y a qu'à tout jetter dans le feu.