1767-07-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Je reçois votre lettre angélique du 10 juillet, mon tendre et respectable ami.
Vous aurez bientôt ces malheureux Scithes; mais je crois qu'il faut mettre un intervalle entre les sauvages de l'orient et les sauvages de l'occident. Je persiste toujours à penser qu'il faut laisser le public dégorger les Illinois; je pense encore qu'une ou deux représentations suffiront avant Fontainebleau. Faisons nous un peu désirer et ne nous prodiguons pas.

Je suis sans doute plus affligé que le petit Lavaysse; mais comment voulez vous que je fasse? J'ai affaire à un Déon et à un Vergy, et je ne suis pas ambassadeur de France. Je suis persécuté depuis longtemps par mes chers rivaux les gens de lettres; c'est un tissu de calomnies si long et si odieux, qu'il faut bien enfin y mettre ordre. Il y a plus de douze ans que ce La Beaumelle me persécute et me fait le même honneur qu'à la maison royale. Il y a plus de sûreté à s'attaquer à moi qu'aux princes; si j'étais prince, je ne m'en soucierais guère, mais je suis un pauvre homme de lettres sans autre appui que celui de la vérité; il faut bien que je la fasse connaître, ou que je meure calomnié. Il ne s'agit pas ici de la défense de mon oncle qui est une pure plaisanterie, il s'agit des plus horribles impostures dont jamais on ait été noirci.

Je serai assez hardi pour écrire à m. D'Aguessaux, puisque vous m'encouragez, mon cher ange, et je tâcherai de ne lui écrire que des choses qui pourront lui plaire et le toucher.

La Harpe (dieu merci) ne fait point deux tragédies, mais il a abandonné un sujet presque impraticable pour un autre où il est plus à son aise; en un mot, mon atelier aura l'honneur de vous servir.

La Combe n'a donné que deux cents francs à cause des petits frais qu'il a été obligé de faire.

Je ne me souviens plus des deux rôles que vous voulez que je donne pour le droit du seigneur. Si vous voulez bien avoir la bonté de m'envoyer les noms je signerai sur le champ.

Je vous avoue que je voudrais bien qu'on jouât Olimpie une ou deux fois avant Fontainebleau, mais qu'on la jouât comme je l'ai faite, car il est assez dur de se voir mutiler. Il est vrai que je ne le vois point, mais je l'entends dire, et je reçois la blessure par les oreilles. Vous savez que les oreilles d'un poète sont délicates. Toute notre petite troupe vous présente ses hommages, ainsi qu'à made d'Argental.

Je crois mr de Thibouville à la campagne. S'il vient à Paris, je vous supplie de ne me pas oublier auprès de lui. Recevez toujours mon culte de dulie.

Je viens d'acheter un dictionnaire historique portatif par une société de gens de lettres en quatre gros volumes in 8. sous le titre d'Amsterdam qu'on dit imprimé à Paris. Je tombe sur l'article Tencin. Made votre tante y est indignement outragée. On y dit que la Frenaye, conseiller au grand conseil, fut tué chez elle. Quels historiens! quels Tite-lives! Dites moi après cela si je dois souffrir un La Beaumelle. Vous devriez bien demander à Marin où s'est faite cette infâme édition et qui en sont les auteurs.

V.