10 juin [1767]
Si vous vous portez bien mon cher ange j'en suis bien aise.
Pour moy je me porte mal. C'est ainsi qu'écrivait Cicéron, et je ne vois pas trop pour quoy on nous a conservé ces niaiseries. Mr de Thibouville me mande que votre santé est meilleure et que vous n'êtes point au lait. Il dit grand bien de votre régime. Jouissez mes anges d'une bonne santé sans la quelle il n'y a rien. Monsieur de Thibouville m'écrit une lettre peu déchifrable, mais dans la quelle j'ay entrevu que mademoiselle Duranci a passé de Scitie au Canada, qu'elle s'est perfectionée dans les mœurs sauvages et qu'aulieu de se sacrifier pour son amant elle le tue par mégarde. C'est là sans doute un beau coup de théâtre, et digne du parterre welche. Voicy ce que je dois répondre à Monsieur de Thibouville sur les Scites et ce que je vous prie de luy communiquer
Puisque vous renoncez à votre diabolique monologue, je vous aimerai toujours et il n'y aura rien que je ne fasse pour vous plaire. Je serai de votre avis sur tous les petits détails dont vous me parlez, du moins sur une bonne partie.
J'attendrai sur tout Fontainebleau pour envoyer à peu près tout ce que vous désirez. Je me flatte toujours que la naiveté singulière des Scites les sauvera à la fin, car la naiveté est un mérite tout neuf; et il faut du neuf aux Welches. Mettez votre gloire à faire réussir ce que vous avez approuvé, et ne vous laissez jamais séduire par ces Welches capricieux.
Continuez, combattez pour la bonne cause, ne vous laissez point abbatre par les cabales et par le mauvais goust. J'aimerai toujours vos talents et votre personne: et s'il me restait des forces, c'est pour vous que je les emploirais.
Voilà mon cher ange touts mes sentiments que je dépose entre vos mains, et que je vous supplie de faire valoir avec votre bonté ordinaire. Mais surtout ayez soin d'une santé si chère à tous ceux qui ont ou qui ont eu le bonheur de vivre avec vous.