1765-07-03, de Nicolas Claude Thieriot à Voltaire [François Marie Arouet].

Il y a dixhuit mois, mon très illustre et très tendre ami, que je cours après mon bien et ma santé.
Je me suis sauvé entièremt des griffes de mon banqueroutier. Il s'agissoit de quatre cent livres de rentes viagères, ce qui est chôse considérable dans un nécessaire borné comme le mien; mais ce qui me touche plus que cette délivrance est celle de mon asthme sec et convulsif, car de passer des nuits dans un fauteuil, ou à une fenêtre sans respirer, est pis que la sciagura d'essere senza coglioni. Je respire donc pour exciter votre indulgente amitié pour un malheureux et vieux infirme qui vous renouvelle ses sentiments d'attachement et de reconnoissance sitôt qu'il est libre de corps et d'esprit.

Je me trouvai il y a quelques jours à table dans un pareil épanchement vis à vis M. d'Açarq qui me dit le sujet de sa lettre et me demanda si je pouvois lui faire espérer qu'elle seroit bien reçeüe. Je me chargeai de vous la transmettre, et il me l'aporta deux jours après avec touts ses ouvrages que je ne connoissois que par les Journaux.

Il paroit que les Jansenistes n'ayant plus de Jesuites à combatre se tournent contre les Philosophes. Ils viennent de répondre à l'excellent ouvrage sur la destruction des Jesuites en France; mais ils n'ont ny le stile, ny la Dialectique des Ecrivains de Portroyal, et ils révoltent leurs Lecteurs par leur présomption, leurs Injures et leur mauvais sens. Ils font annoncer leurs critiques sur le Dictionaire Philosophique portatif et sur la Philosophie de l'histoire à qui on accorde la première place parmi les livres les plus distingués en ce genre. Cet excellent et admirable ouvrage si rempli de connoissances des Origines, des Religions, des Moeurs et des coutumes des Peuples et des Nations fait voir évidement que le Discours de M. Bossuet sur l'hist. universelle n'est qu'une production de belle Eloquence fort bornée, dont il n'avoit qu'effleuré quelques morçeaux sans enchainement et sans conséquence, et qui ne remplit ni nos attentes, ni nos recherches. De plus cette Philosophie de l'histoire fait bien mieux que l'Esprit des Loix connoitre l'histoire de l'humanité, et je la trouve traittée avec tant de mesure et de sagesse que si l'auteur y étoit forcé comme le fut célèbre Montesquieu il en pouroit faire très facilement une deffense aussi belle et aussi forte tout au moins que celle de l'Esprit des Loix. C'est ce dont j'ai été singulièrement frapé dans tout le cours de cet ingénieux et savant écrit.

Vous avés veu avec quelle chaleur je m'intéressois pour Damilaville. Il vous inspirera bien vite cette même inclination quand vous le verrés. La passion qu'il a toujours eu de vous voir et qui n'a fait que croître me persuade que son mal n'est pas considérable et qu'il en sera bientôt guéri. Il y a longtems que je vous ai dit,

Scribé tui gregis hunc, et fortem crede bonumque.

Faites vous aporter je vous prie le 2e tome de l'Esprit des Loix. Lisés les Chapitres 17 et 18 du 26e Liv. Rapellés vous l'Edit du Roi. Il me paroit dressé sur ces deux Chap. Si ma découverte est juste, je sais gré à M. l'Averdi d'en faire son profit, et j'en admire davantage M. de Montesquieu. Vale.

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