Vend. 13 Janvier 1769, à Paris
Il n'y a que vous au monde, mon ancien ami, mon honneur et mon soutien avec qui je puisse prendre l'air et le ton dont je vous écris.
Il y a deux ans que je paye habituellement les tributs que la vieillesse doit à la nature. L'asthme étoit mon incommodité dominante et familière; mais un régime austère et une plante que j'ignore et dont je n'use plus, mais dont j'ai heureusement une bonne provision en a fait disparaitre tous les simptômes à la fin de l'été. Ma santé est donc aussi bonne que je pouvois le souhaiter, mais ma petite fortune et mes affaires sont dans le plus grand dérangement. J'ai payé trois années de six Cent Livres chacune pour remplir les engagemens que j'avois pris pour le mariage de ma fille.
Voici mes revenus: 1200 du R. de Prusse dont il ne me reste que Mil. Liv., les Deux Cent Liv. payant tous les papiers Littéraires dont je lève mes extraits, payant aussi les Copies des pièces et autres ouvrages qu'il y faut joindre.
Ces Mil Livres du Roi de Prusse avec deux Mil six Cent Liv. viagères sur l'hôtel de ville et 400lt par an sur M. le Comte de Lauraguais me donnoient l'espérance de me tirer d'affaire en payant même mon engagemt de six Cent Liv. Mais une nouvelle charge perpétuelle m'est survenue par la nécessité de prendre une seconde femme pour me servir et me secourir dans mes infirmités.
Vous me fites l'amitié de m'écrire au commencement de février 1766, lorsque je vous demandois d'être inscrit sur la feuille de vos bienfaits, que j'avais attendu trop tard, que j'en serois puni, que j'attendrois; qu'il auroit fallu vous parler de mon grenier dans le tems de la moisson; que tout le Monde avoit glanné hors moi, parce que je ne m'étois pas présenté et que vous me promettiez de réparer ma négligence. Vous ajoutiés de la manière la plus agréable et la plus consolante que vous m'aimiés comme on aime dans la jeunesse.
Cela m'a rapellé avec quelle vivacité vous entreprites et vous poursuivites sur la fin de la Régence de faire mettre sur ma tête la moitié de votre Pension, et comme par vos instances M. Le Duc de Melun s'intéressa au succès de ce projet sous le Ministère de Mr Le Duc; mais les tristes événemens qui se succédèrent coup sur coup renversèrent une si rare marque d'amitié et de bienfaisance dont la Gazette de Hollande fit une mention particulière. C'est ce qui m'a toujours encouragé de vous dire, s'il en étoit besoin, comme Horace le dit à Mecêne en lui rapellant ses bienfaits, Nec si plura velim, tu dare deneges; et c'est ce qui me faisoit dire dernièremtà table chés M. le Lieutenant Civil qu'il n'y avoit que M. de Voltaire à qui je pûsse demander avec plaisir et de qui je pusse recevoir de même.
Je ne vous écrirai point de nouvelles de Littérature, parce que je suis trop plein de petits chagrins domestiques.
Je vous adresserai par la suitte toutes mes Lettres contresignées aux bureaux de M. Dormesson, Conseiller d'état, du Conseil du Roi, Intendt des finances.
Vous m'adresserés les vôtres, sous l'envelope de M. Faget de Villeneuve, premier commis de M. Dormesson.
La troisième adresse qui enveloppe les deux autres est à M. Dormessan &c.