1766-07-06, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louise Florence Pétronille La Live, marquise d'Épinay.

Je bénis la providence ma respectable et chère philosophe de ce que votre pupile va devenir tuteur.
S'il y a un corps qui ait besoin de philosophes c'est assurément celuy dans lequel il va entrer. Les philosophes ne rouent point les Calas, ils ne condamnent point à un supplice horrible des insensés qu'il faut mettre aux petites maisons. De quel front peut on aller à Polieucte après une pareille avanture? Le tuteur élevé par sa tutrice, sera digne de L'employ au quel il se destine. On attend baucoup de la génération qui se forme. La jeunesse est instruitte, elle n'arrive point aux dignitez avec les préjugés de ses grands pères. J'ay dieu merci un neveu dans le même corps qui a été bien élevé et qui pense comme il faut penser. La lumière se communique de proche en proche. Il faut laisser mourir les vieux aveugles dans leurs ténèbres. La véritable science amène nécessairement la tolérance. On ne brûlerait pas aujourdui la maréchale d'Encre comme sorcière, on ne ferait pas la saint Barthélemi, mais nous sommes encor loin du but où nous devons tendre. Il faut espérer que nous l'atteindrons. Nous sommes en bien des choses, les disciples des Anglais, nous finirons par égaler nos maitres.

Vous devez àprésent ma respectable et chère philosophe jouir d'une santé brillante, et moy je dois être languissant; aussi sui-je, puisqu'Esculape est à Paris. Que vos bontés me soutiennent.

Permettez que je fasse les plus tendres compliments au tuteur.

V.

Tout notre petit hermitage est à vos pieds.