1758-05-12, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charlotte Sophia van Aldenburg, countess of Bentinck.

Si vous voulez plaider madame, restez; si vous voulez vivre tranquile, venez.
La nouvelle proposition que vous faites pour la maison, n'est pas praticable. Mais quand vous voudrez bien sérieusement choisir une retraitte dans un pays où des français, des anglais, des hollandais, des allemans, des russes viennent vivre heureux, vous n'avez qu'à m'avertir et vous serez servie.

Je suis baucoup plus affligé que cet homme supérieur que vous voiez quelquefois, car je ne vois point Les ressources. Il les voit et il les fait.

Pour vous madame, tâchez de croire qu'un mauvais àccomodement, pourvu qu'il soit sûr, vaut mieux pour vous qu'un mauvais procez et même qu'un bon. Pardonnez surtout à mon tendre attachement si je vous dis la vérité.

J'ay cru la dire au moins dans cette esquisse d'histoire générale que vous daignez lire, mais les libraires de Geneve l'ont remplie de fautes sans compter les miennes. Je voudrais que vous ne l'eussiez point lüe. Vous verriez dans une édition que je prépare des choses qui pouront fournir des réflexions à un esprit tel que le vôtre. Je peins le genre humain; et vous le jugerez.

Que ne pui-je aller jusqu'à 1758 et dire ce que je pense? que ne pui-je plaire à l'homme universel, au grand homme dont vous me parlez qui n'aura pas selon les apparences le temps de me lire?

Vous me parlez d'un gouverneur pour un jeune homme. Ce gouverneur gouverne à présent à Strasbourg àmoins qu'il ne soit parti pour Vienne avec son pupile. Il sera toujours fort aisé de s'informer soit à Vienne soit à Strasbourg, si on est content de l'éducation qu'il a donnée à son pupille autrichien.

Je crois connaitre votre Strouganof. Du moins un jeune russe en of m'a fait l'honneur de dîner dans mon hermitage en allant à Paris d'où il devait aller à Vienne.

Me voicy actuellement dans mes Délices avec cette nièce qui dormait à Francfort entre quatre soldats la bayonnete au bout du fusil, avec un sr Freitag à leur tête, à peu près comme dort àprésent la reine de Pologne à Dresde. Nous oublions nos petits mésaises dans une jolie maison avec de la musique, des amis, des livres, des jardins agréables et un bon cuisinier. Cet état vaut un peu mieux que celuy où vous m'avez vu. Cependant madame il s'en faut baucoup que je sois content et vous devinez bien pourquoy. Votre procez ne va pas bien. Celuy de l'homme respectable à qui je m'intéresse sans avoir eu l'honneur de l'aprocher est mêlé d'incidents qui me déchirent le cœur. Je connais quelques uns des avocats pour et contre, mais je crains de parler chicane. Adieu madame, puisse le goust du repos saisir votre cœur, et nous amener votre personne. Recevez les tendres respects de l'hermite

V.