à Shwetzingen 4 aoust[1758]
Je ne suis pas plus jaloux madame de Mr Haller que de Marie Térèse.
L'une mérite des adorations et l'autre la plus grande estime. Mais s'il reste encor un petit coin dans votre cœur, je vous le demande, et je retiens place. Le roy de Prusse a délogé de Kœnigsgrats la nuit du 25 au 26 juillet avec baucoup de précipitation. Il a abandonné treize gros canons et des munitions. Il a perdu quelques automates de six pieds de haut. On prétend que c'est mr de Dawn qui le fait fuir. Mais ceux qui ont le néz plus fin, prétendent qu'il va attaquer, et probablement battre les russes qui sont dans ses états et qui ont passé l'Oder le 22 juillet. On s'attend à de grands événements avant la fin de la campagne. Vous serez bientôt madame à la source de ces nouvelles intéressantes. Vous serez à Vienne. Je voi bien que vous n'étes pas faitte pour notre vie simple et rustique. Mais si vous avez la fantaisie, la cruauté, la rage de partir avant que j'arrive à Lausane, informez vous du moins en chemin, du plus maigre des suisses. Je passeray par Bale, par Soleure, où je m'arrêterai nécessairement deux jours chez l'ambassadeur de France, enfin par Berne où peut-être je verray ce grand Haller. C'est votre route en allant à Vienne. Mais il vaudrait mieux assurément que j'eusse l'honneur de vous voir à Lausane.
Je vous donne encor ma parole d'y être le premier ou le second septembre au plus tard et de faire tous mes efforts pour y être plus tôt. Vous ne doutez pas je crois de mon empressement. J'ay quelques affaires à Strasbourg qui m'y retiendront trois ou quatre jours. Vous voyez avec quelle exactitude je vous rends compte de mes marches. Vous sentez bien madame que si mon goust décidait de ma conduitte je serais déjà auprès de vous. J'ay plus d'une chose à vous dire; et la plus importante pour moy est de vous convaincre que c'est à vous seule que je voudrais faire ma cour.
Vous trouvez Monrion trop petit. Il est très grand pour le prix, et avec cent écus de dépense, il y a de quoy loger encor vingt personnes.
Vous ne trouverez peutêtre pas en Europe un parcil marché, quoy que vous en disiez. Si vous voulez ne vous pas ruiner, il faut que votre monde reste là. Songez que rien n'est plus cher que les déplacements. Mais nous parlerons de ces arrangements, àloisir. Du moins je l'espère. Attendez moy je vous en conjure, et souvenez vous que jamais ny autrichien ny même westphalien ne vous sera plus attaché que le suisse
V.