aux Délices 10 octb [1756]
Souvenez vous mon héros que dans votre ambassade à Vienne vous fûtes le premier qui assurâtes que l'union des maisons de France et d'Autriche étaient nécessaires, et que c'était un moyen infaillible de renfermer les Anglais dans leur ile, les Hollandais dans leurs canaux, le duc de Savoye dans ses montagnes, et de tenir enfin la ballance de l'Europe.
L'événement doit enfin vous justifier. C'est une belle époque pour un historien que cette union si elle est durable.
Voicy ce que m'écrit une grande princesse, plus intéressée qu'une autre aux affaires présentes par son nom et par ses états:
‘la manière dont Le R. de Pr. en use avec ses voisins excite l'indignation générale. Il n'y aura plus de sûreté depuis le Veser jusqu'à la mer baltique. Le corps germaniq: a intérest que cette puissance soit très réprimée. Un empereur serait moins à craindre, car nous espérons que la France maintiendra toujours les droits des princes.’
On me mande de Vienne qu'on y est très embarassé. Apparemment qu'on ne compte pas trop sur la promtitude et l'affection des russes.
Il ne m'apartient pas de fourer mon néz dans touttes ces grandes affaires, mais je pourais bien vous certifier que l'homme dont on se plaint n'a jamais été attaché à la France, et vous pouriez assurer me de P. qu'en son particulier elle n'a pas sujet de se louer de luy. Je sçai que l'impératrice a parlé il y a un mois avec baucoup d'éloge de me de P. Elle ne serait peutêtre pas fâchée d'en être instruitte par vous; et comme vous aimez à dire des choses agréables vous ne manquerez peutêtre pas cette occasion.
Si j'osais un moment parler de moy je vous dirais que je n'ay jamais conçu comment on avait de l'humeur contre moy de mes coqueteries avec le roy de Prusse. Si on savait qu'il m'a baisé un jour la main, toutte maigre qu'elle est, pour me faire rester chez luy, on me pardonerait de m'être laissé faire; et si on savait que cette année on m'a offert carte blanche, on avouerait que je suis un philosofe guéri de ma passion. J'ay je vous l'avoue la petite vanité de désirer que deux personnes le sachent; et ce n'est pas une vanité, mais une délicatesse de mon cœur de désirer que ces deux personnes le sachent par vous. Qui connait mieux que vous le temps et la manière de placer les choses? Mais j'abuse de vos bontez et de votre patience. Agréez le tendre respect du suisse.
Je vous demande pardon du mauvais bulletin de Cologne que je vous envoiai dernièrement. On forge des nouvelles dans ce pays là.