1764-12-05, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis Eugene von Württemberg, duke of Württemberg.

Permettez que j'aie encor l'honneur de parler à Vôtre Altesse sérénissime sur la petite affaire de ma famille. Je ne suis point étonné que vous aiez mandé à ma nièce que dans l'occasion vous auriez égard à la justice de ses prétentions; nous comptons sans doute elle et moi sur la générosité de vos sentiments.

Vous avez ajouté à ces assurances de vos bontés, qu'il n'y avait plus de substitution dans les terres de vôtre maison. Vous entendez probablement qu'il est établi que les princes de vôtre sang en succédant à leurs parents, sont tenus de remplir les engagements de leurs prédécesseurs, de continuer les pensions, de païer les rentes et charges assignées.

C'est une loi qu'en éffet l'honneur a dicté dans vôtre illustre maison; mais la substitution est formelle dans toutes ses terres, et les Ducs de Virtemberg ne peuvent aliéner aucun de leurs domaines, pas même en franche comté et en Alzace.

Aussi, Monseigneur, aucun des domaines de vôtre maison n'est aliéné en ma faveur. J'ai établi seulement des rentes sur ma tête, et sur celles de mes neveux et nièces. Je ne jouïrai pas longtemps des miennes; mon âge de soixante et onze ans et mes infirmités, me font regarder l'extinction de ces rentes comme prochaine.

Reste donc celles qui sont sur la tête de made Denis, et celles qui sont sur la tête de mes neveux. Ils peuvent survivre à Mgr le Duc règnant, et en ce cas ils perdraient ce que je leur ai donné, si V: A: S. n'avait pas la bonté de tenir cet engagement, et d'ordonner le paiement de leurs rentes.

Ces rentes étant spécialement hippotéquées par devant notaires sur les terres d'Alzace et de franche Comté, n'ont absolument rien de commun avec les états de Virtemberg. Je crois même que ce sont les seules dettes dont vos terres en France soient chargées. D'ailleurs, V: A: S: sait bien que ces rentes, regardées comme alimentaires, et qui s'éteignent par la mort, n'entament jamais le fond, et ne peuvent porter aucun préjudice ni à vôtre maison, ni à vos états.

Fondé sur ces raisons, et obligé de pourvoir à ma famille, j'ai donc pris la liberté de m'adresser directement à V: A: S: Je me suis félicité de voir mes intérêts dépendre de vôtre justice, et de la magnanimité de vôtre cœur. Il ne s'agit icy d'aucune discussion, d'aucun arrangement qui regarde le Duché de Virtemberg, d'aucune affaire avec les états; enfin, de rien au monde qui puisse compromettre vôtre personne. Je ne demande qu'un mot de Lettre; et si mon état me permettait de paraître en vôtre présence, je ne demanderais qu'une parole de vôtre bouche. Daignez m'écrire seulement que les rentes que j'ai établies par contracts avec Mgr le Duc vôtre frère, en faveur de ma famille lui seront toujours payées.

Ces deux lignes certainement, ne commettent pas vôtre personne, elles rassurent toute ma famille, et elles préviennent une foule de formalités très coûteuses dans chaque jurisdiction des terres situées en France.

Je vous demande cette grâce avec la plus vive instance. Je n'en abuserai certainment pas, et je vivrai et mourrai pénétré de la reconnaissance et du respect avec lequel j'ai l'honneur d'être

Monseigneur
De Vôtre Altesse sérénissime
Le très humble et très obéïssant serviteur
Voltaire