1764-01-13, de Voltaire [François Marie Arouet] à marchese Francesco Albergati Capacelli.

Vous voulez donc, Monsieur, que les aveugles vous écrivent; mais Tiresie, et le vieux bonhome Tobie écrivaient-ils? que pouvaient-ils mander, que pouvaient-ils dire?
Les pauvres diablesétaient sûrement bien empêchés. Quand Tobie aurait écrit trois ou quatre fois à un sénateur de Babilone, qu'une hirondelle lui avait chié dans les yeux, pensez vous que le sénateur eût été bien réjouï des bavarderies de Tobie? Vous dirai-je, que nous avons beaucoup de neige sur nos montagnes, que je me traïne avec un bâton au coin du feu, que je fais ce que je puis pour guérir mes yeux, et que je n'en peux venir à bout, que mon théâtre est fermé, qu'il faut que je m'accoutume à toutes les privations? Dieu vous préserve de jamais tomber dans cet état! Heureusement vous êtes encor jeune, vous avez l'occupation des affaires, et l'amusement des plaisirs; voilà tout ce qu'il faut à l'homme.

Conservez longtemps tous vos avantages; gouvernez Boulogne pendant l'hiver, et le théâtre pendant l'été; jouïssez de la vie, je suporte la mienne, et tant qu'elle durera, je vous serai bien tendrement attaché.

V.