30e auguste 1765
Mon ancien ami, le séjour de Madlle Clairon et ma santé qui empire tous les jours, ne m'ont pas permis de vous écrire.
Je goûte une vraie satisfaction d'avoir Mr d'Amilaville dans mon hermitage. C'est un vrai philosophe; celà ne ressemble pas à Rousseau qui ne sait pas même prendre le masque de la philosophie. Savez vous que pour être admis à sa communion hérétique dans le village où il abboie, il avait promis et signé de sa main, qu'il écrirait contre l'ouvrage abominable d'Helvétius? Ce sont ses propres termes, et mr de Montmolin son curé avec lequel il s'est brouillé, et contre lequel il a écrit, a fait imprimer cette belle promesse. Le chien qui accompagnait Diogène aurait eu honte d'une pareille infamie.
On écrit beaucoup à Genêve pour et contre les miracle, et il y a eu des gens assez sots pour croire que je mêlais de cette petite guerre théologique. J'en étais bien loin, je ne me mêlais que des miracles de mlle Clairon. Elle m'a étonné dans Aménaïde, et dans Electre qu'elle a jouées sur mon petit théâtre. Ce n'est point moi qui suis l'auteur de ces deux rôles, c'est elle seule. Je crois que le public de Paris ne la reverra plus, mais sûrement il la regrettera. La perte sera légère pour vous qui n'allez prèsque jamais au spectacle.
Nous marions donc tout deux des filles, mais vous avez un grand avantage sur moi, vous mariez celle que vous avez fait. Vous avez goûté le plaisir d'être père, et moi j'ai été inutile au monde, ce n'est pas ma faute. Je me console autant que je puis par le plaisir insipide de bâtir et de planter. La mémoire de made De Tencin m'est chère, puisqu' elle a mis au monde D'Alembert; il a été sur le point d'en sortir, les jansénistes en auraient été bien aises, mais tous les honnêtes gens en auraient été bien affligés.
Vivez, mon cher ami, et portez vous mieux que moi.
V.