1746-12-29, de Pierre Robert Le Cornier de Cideville à Voltaire [François Marie Arouet].
Ta Muse les écrit, et le Temps les paraphe,
De nos rares exploits tu consacres la foy;
Plus actif que Racine, et digne Historiographe,
Tu fais ce qu'il n'osa tenter mesme, avant Toy;
Son rival, au Théâtre, où ton Démon domine,
Tu portes la Pitié, l'Amour, et la Terreur.
Chaque jour, près du Roy, joüis comme Racine
De l'astre bienfaisant qui fait nostre bonheur.
Il faloit que celuy, de qui les projets vastes
Sont de peindre Loüis et de graver nos fastes,
Contemplast à son gré le modèle des Rois,
Et pour un parallelle aussi flateur que juste
Il étoit arresté que le moderne Auguste
Ouvrit son sanctuaire au Virgile françois.
J'aplaudis à ce choix, et tout bas j'en soupire.
Eh puis je me flater, qu'ennyvré nuit et jour
De ces fausses vapeurs de l'encens de la cour
Il vous reste en m'aimant l'instant de me le dire?
Vous m'écrivés pourtant;… soyés justifié;
Ma main, avec transport à vostre autel attache
Ces vers, ces fleurs, ces noeuds dont je vous fut lié;
A l'honneur des Vertus, oüy que l'Avenir sache
Qu'à la Cour mon ami ne m'a point oublié,
Qu'on a vu des Palais descendre l'Amitié,
Jusqu'à l'obscurité du séjour qui me cache.
Vous le saviés, Rimeur charmant,
Qu'il est un Dieu plus fort que tous ceux du Parnasse,
Que l'Esprit, sans le Coeur, ne peut rien, quoy qu'il fasse,
Et vous cherchiés le sentiment;
Etranger chés les Rois, il s'y glisse, en cachette.
En vostre Oratoire secrète;
Mais quand las d'un vain compliment,
Quand effrayé d'un faux serment
Il se sauve dans ma Retraite,
Voulés vous qu'il revole à vostre firmament?
Baissés vers mon Réduit vos regards un moment,
Vous l'y retrouverés sans cesse
Sur le plus simple autel règnant nonchalament
Sur moy, mes amis, ma Maîtresse.