1723-12-15, de Pierre Robert Le Cornier de Cideville à Voltaire [François Marie Arouet].
Quand on sent qu’à Maisons L'implacable furie
Qui souffle dans Paris La Mort et La terreur,
Avec tous ses poisons attaquoit vostre vie
Cher Voltaire, on frémit d'horreur.
A la ville, à la Cour, dont vous fistes les charmes
Tout prit de la douleur Le funeste maintien.
Pour vous donner Les plus sincères larmes
Il ne faloit qu'estre bon citoyen. . . .
Nous croyions, disoit'on, qu'enfin le Ciel plus juste
Donnoit un Virgile aux François,
Que nos talents auroient sur le siècle d'Auguste
Le prix qu'ont déjà nos exploits.
Insensés! . . . Joüit'on de ces hommes illustres
Dont l'esprit devance les ans?
Alexandre, Virgile, à peine eurent sept lustres. . . .
Les fleurs finissent au printemps.
Le Temps qui détruit tout, jaloux que leur mémoire
Echape à son avidité,
Se vange en arrachant Les héros à la gloire
De son pouvoir trop limité.
Voilà ce qu'en public une trop juste crainte
Vous rendoit de regrets pompeux.
Mais Les cœurs bien touchés sont fermés à la plainte
Et n'en sont que plus malheureux. . . .
Pour moy dont L’âme ennyvrée
Du plaisir de vous revoir
Portoit plus loin son idée
Et sur son ardeur fondée
Peutestre un peu trop tost s’étoit permis l'espoir
De se voir quelque jour à la vostre liée,
Effrayé de tout mon malheur
Je demeuray stupide . . . attéré de douleur. . . .
Tel meurt L'homme écrasé par La foudre lancée. . . .
Eh qu'auroit donc souffert mon cœur?
Si jamais séparé par L'absence cruelle
J'avois entretenu sa pente naturelle,
Si toujours près de vous, et payé de mon zèle
J'avois goûté L'appas flateur
D'une tendresse mutuelle
Si digne enfin d'estre choisy
Par L'homme le plus estimable,
J'avois pû me dire L'amy
De L'amy Le plus véritable. . . .
Mais vous vivés. . . . La Parque a respecté vos jours
J'en aprens la nouvelle
Par cet amy fidelle
Qui sur Les vostres seuls des siens réglant le Cours
Pour se les prolonger vous porta du secours,
Pour qui, plus inquiet que de la maladie
Dont Le feu dévorant alloit vous consumer,
D'une voix foible, [ . . .]
On vous entendit réclamer
Les biens faits de vostre patrie,
Dernier et tendre effort d'un cœur qui veut aimer
Audelà mesme de la vie. . . .
Mais vous vivés. . . . Que La nymphe aux cent voix
Les fasse éclater à la fois.
Je ne fermeray plus en tremblant mon oreille,
Je l'entends publier que rival de Corneille
Vous allés enrichir le Théâtre françois.
Bientost je la verray d'une course rapide
Parcourant L'univers de L'aurore au couchant,
Etonner Le peuple sçavant
En luy montrant vostre Eneïde. . . .
Tandis que couronnés de fleurs
A ses cris d'allégresse
Nos chantres à L'envy vont mesler Les douceurs
D'hymnes reconnoissants, de chants pleins de tendresse,
Que sur un char pompeux nostre France s'empresse
De vous conduire aux honneurs.
J'ay de ce peu de fleurs semé vostre passage,
Nous vous rendons Voltaire un plus flatteur hommage
Par L'encens épuré qui brusle dans nos cœurs.