Monsieur,
Vous avez bau vous deffendre d’être mon maitre, vous le serez quoyque vous en disiez.
Je sens trop le besoin que j'ay de vos conseils; et d'ailleurs les maitres ont toujours aimé leurs disciples, et ce n'est pas là une des moindres raisons qui m'engagent à être le vôtre; je sens qu'on ne peut guère réussir dans les grands ouvrages sans un peu de conseils et baucoup de docilité. Je me souviens bien des critiques que Monsieur le grand prieur et vous vous me fistes en un certain soupé chez monsieur l'abbé de Bussy. Ce soupé là fit baucoup de bien à ma tragédie, et je croi qu'il me suffiroit pour faire un bon ouvrage de boire quatre ou cinq fois avec vous. Socrate donnoit ses leçons au lit, et vous les donnez à table, cela fait que vos leçons sont sans doute plus gaies que les siennes. Je vous remercie infiniment de celles que vous m'avez données sur mon épitre à son altesse M. le duc d'Orleans et quoyque vous me conseilliez de loüer je ne laisseray pas de vous obéir.
Je ne puis vous en dire davantage car cela me saisit.
Je suis avec une reconnoissance infinie
Monsieur
Votre très humble et très obéissant serviteur
Arouët
à Sully ce 20 juillet [1716]