1733-12-05, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Robert Le Cornier de Cideville.

J'ay été bien malade mon très cher amy, je le suis encore, et le peu de forces que j'ay c'est l'amitié que me les donne, c'est elle qui me met la plume à la main pour vous dire que j'ay montré à Emilie votre épitre allégorique.
Elle en a jugé comme moy, et m'a confirmé dans l'opinion où je suis qu'en arrachant une infinité de fleurs que vous avez laissé croître sans y penser autour de l'arbre que vous plantiez, il n'en croîtra que mieux et n'en sera que plus bau. Vous êtes un grand seigneur à qui son intendant prêche l'économie. Soyez moins prodigue, et vous serez baucoup plus riche. Vous en convenez. Voicy donc quel seroit mon petit avis pour arranger les affaires de votre grande maison.

J'aime baucoup ces vers

J'étois encor dans l'âge où les désirs
Vont renaissant dans le sein des plaisirs.

etc. . . . De là je vous voudrois voir transporté par votre démon de Socrate au temple de la raison, et cela bien clairement, bien nettement, et sans aucune idée étrangère au sujet. Le temps dont vous faites une description presque en tout charmante présente à cette divinité tous ceux qui se flattent d'avoir autrefois bien passé le temps. Jettez vous dans les portraits, mais que chacun fasse le sien en se vantant des choses même que la raison condamne, par là chaque portrait devient une satire utile et agréable. Point de leçon de morale je vous en prie que celle qui sera renfermée dans l'aveu ingénu que feront tous les sots de l'impertinente conduitte qu'ils ont tenue dans leur jeunesse. Ces moralitez qui naissent du tablau même et qui entrent dans le corps de la fable sont les seules qui puissent plaire, par ce qu'elles même peignent chemin faisant et que tout en poésie doit être peinture. Il y a une foule de baux vers que vous pouvez conserver. Tout est diamant brillant dans votre ouvrage. Un peu d'arrangement rendra la garniture charmante. Je voudrois avoir avec vous une conversation d'une heure seulement. Je suis persuadé qu'en m'instruisant avec vous et en vous communiquant mes doutes nous éclaircirions plus de choses que je ne vous en embrouillerois dans vingt lettres. J'entrerois avec vous dans tous les détails, je vous prierois d'en faire autant pour notre Adelaide, vous m'encourageriez à réchauffer et à annoblir le caractère de Nemours, à mettre plus de dignité dans les amours des deux frères, et à corriger bien de mauvais vers. J'ay adopté touttes vos critiques, j'ay refait tous les vers que vous avez bien voulu reprendre. Quand pourai-je donc m'entretenir avec vous à loisir de ces études charmantes qui nous occupent tout deux si agréablement? Il me semble que nous sommes deux amants condamnez à faire l'amour de loin. Savez vous bien que pendant ma maladie j'ay fait l'opéra de Samson Pour Ramau? Je vous promets de vous envoyer celuy là, car j'ay l'amour propre d'en être content, aumoins pour la singularité dont il est.

Linant renonce enfin au téâtre, il quitte l'habit avant d'avoir achevé le noviciat. Que deviendra t'il? Pourquoy avoir pris un habit d'homme et quitté le petit collet? Quel métier fera t'il? Vale.