aux Délices 23 nbre [1757]
Je crois dieu me pardonne que j'ai toujours oublié mon cher correspondant de vous prier d'envoier 400 louis d'or neufs à mr Cathala pour passer mon hiver à Lausane.
Vous aurez reçu les relations de vos genevois par les quelles il est bien constaté qu'on avait conduit l'armée dans un coupegorge entre deux plataux garnis d'artillerie. Il y a dit on, dans l'histoire un exemple de cette faute.
Les choses ont bien changé. Vous ne devez plus vous attendre à cette belle lettre dont il était question. Je vous assure qu'on est bien fier. Nous verrons si le maréchal de Richelieu rabaissera ou augmentera cette fierté.
Revenons tout doucement à l'embelissement de nos Délices, à nos plantations, à nos pèchés, à nos figuiers. Je viens de vous planter des arbres de quarante pieds de haut pour cacher le palais Pictet qui faisait un point de vue désagréable, parce qu'il ne présente qu'un angle. Au lieu d'une vilaine grenouillère que M. Mallet avait postée près de la maison, vous aurez en face une grande pièce d'eau avec des charmilles en portiques.
Mais pour le dedans je voudrais de ces tapis de Turquie pris sur les anglais. Je voudrais pour moy deux amples doublures de belle pluche cramoisi, un bord d'or pour un chapau, une garniture de boutons d'or pour un surtout, une garniture de boutons d'or pour habit, veste et culotte. A qui aurai-je recours pour ces menues nécessitez? Ma foy à vous mon cher correspondant puisque vous daignez être aussi attentif aux petites choses qu'aux grandes, et que vos bontez ne se lassent point.
J'aprends dans le moment que les 400 louis sont en route. Je vous rends mille grâces. Je vous demande mille pardons. Made Denis qui ne se porte pas bien, vous fait comme moy les plus tendres compliments.
V.