2 décembre [1757]
Mon cher correspondant vous trouverez folio verso de la pâture pour les réflexions d'un homme respectable qui pense comme il le doit.
Il en a fait sans doute de très justes sur l'avanture du 5. Vous pouvez être très sûr que tout était fini si on s'était emparé des hauteurs que le roy de Prusse garnit de cavalerie et de canons sans qu'on s'en aperçût. On était trois fois plus près de ces hauteurs que luy. Le général Marshall entrait en Saxe avec quinze mille hommes. Tout a été perdu par une seule faute bien grossière. L'artillerie prussienne emportait nos gens dix à dix, et on s'enfuit de tous côtez. Le roy de Prusse se donna le soir le plaisir de demander des draps (à une dame d'un châtau voisin chez la quelle il soupa) pour faire des bandages à nos blessez. On ne peut nous humilier avec plus de générosité.
La reine de Pologne est morte de chagrin. La France se ruine. Voylà encor quarante millions en rentes viagères. Je ne crois pas que j'y mette mon denier. J'aime mieux mon palatin, et je me contente de bonnes doublures de pluche cramoisie que je préfère aux fourures. Il ne faut songer qu'à se tenir bien chaud cet hiver. Gare la convention de Stade! Le beau billet qu'a la Chatre! Bon soir, vos fermiers vous embrassent.
V.
Mille respects, je vous prie, à mr et me de Monferrat. La nièce se joint à moy.
‘Les mêmes intentions qu'on avait, on les a encore. J'écrirai au premier jour à Mr le c. de T. Assurez le je vous prie de toutte mon estime, et dites luy que je persiste toujours dans mon systême.’
Voilà les propres mots qu'on m'écrit du 23 novbre. Je supplie qu'on s'écrive en droiture, si cela se peut sans hasarder que les lettres soient ouvertes sur la route. Il n'apartient qu'à la prudence de S. E. de conduire cette affaire très épineuse et de donner les conseils convenables dans des circomstances où l'on ménage avec une attention scrupuleuse d'autres puissances.
Je ne fais d'autre office que celuy d'un grison qui rend les lettres. Mais mon cœur s'acquitte d'un autre devoir au quel il s'attache uniquement, celuy d'aimer son roy, sa patrie et le bien public, de ne me mêler absolument de rien que de faire des vœux pour la prospérité de la France, et de mériter l'estime de celuy dont je respecte les lumières autant que La personne.