1767-10-30, de Honoré Armand Hector de Villars, duc de Villars à Voltaire [François Marie Arouet].

Il est vrai, monsieur, que ma maladie et ma convalescence m'ont bien fait connaitre qu'on daigne prendre quelque intérêt à moi; mais rien ne m'a plus flatté que les marques d'amitié que vous m'avez données à cette occasion et je vous en fais les plus vifs remerciements.
J'en dois aussi à madame Denis et aux autres habitants de Ferney qui se sont allarmés à la nouvelle du danger que j'ai couru, et je vous prie de leur en témoigner ma reconnaissance, surtout à madame Denis que j'assure de mon tendre et respectueux attachement. Ma santé dont vous voulez savoir des nouvelles se rétablit chaque jour, j'allai dimanche dernier à la comédie de Marseille pour essayer un peu mes forces renaissantes; et je ne puis vous exprimer avec quels transports de joie je fus reçu dans cette ville, et encore moins combien ce spectacle était touchant pour moi; il contribuera beaucoup à rendre ma convalescence plus courte et je serai bientôt en état de répondre aux questions que vous avez à me faire relativement à votre bel essai sur le Siècle de Louis 14. Malheureusement je n'ai pas ici les manuscrits de mon père, et ce ne sera que de mémoire que je pourrai vous rapporter les faits qui le concernent et qui sont niés ou altérés par La Beaumelle. C'est une grande impudence à lui, comme vous dites, de vouloir faire passer pour une légère égratignure faite à plaisir la blessure très dangereuse que mon père reçut à la bataille de Malplaquet; eh qui ne sait que tous les chirurgiens furent d'avis qu'il fallait lui couper la jambe? que m. Marechal qui lui fut envoyé par le roi s'y opposa de toutes ses forces, et que son sentiment prévalut? J'ai eu le plaisir de vous écrire au commencement de ma maladie; je vous marquais que votre petit roman de l'Ingénu m'avait paru charmant, et je vous priais de dire bien des choses pour moi à mr de La Harpe, qui m'a enchanté par son Eloge de Charles 5 et surtout par la manière ingénieuse dont mon père y est loué. Votre silence sur cet article de ma lettre me fait craindre qu'elle ne vous soit pas parvenue. Adieu, monsieur, je me flatte que vous connaissez bien mon sincère et tendre attachement pour vous et si je vous en parle c'est que je trouve toujours un nouveau plaisir à vous en renouveler les assurances.