1767-08-26, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

Mon cher ami, comment vous portez vous?
Je suis bien languissant. Je ne pense pas aller bien loin, mais je suis très consolé de ce que vous me dites de made d'Argental.

J'ai fait venir enfin un ingénu. Cet ouvrage est de l'auteur du compère Mathieu. C'est un roman fait pour amuser quelque temps les gens oisifs; il m'a paru fort innocent, mais si on me l'attribue (comme, dieu merci, on m'impute tout) on le trouvera sans doute très coupable.

Je paie furieusement les intérêts de ma malheureuse réputation. Il serait bien triste qu'on me soupçonnât d'un roman dans les temps que je travaille à l'histoire. Je ne suis occupé que de la gloire de ma patrie. Le Siècle de Louis 14 s'étend jusqu'au nôtre, car c'est un espace de temps pris entre l'année 1635 et environ l'année 1740. Je commence par une lettre raisonnée et alphabétique de tous les princes contemporains, des généraux, des ministres, des écrivains, des artistes qui ont illustré le siècle. Jugez quelle a dû être mon indignation contre ce malheureux La Beaumelle qui a voulu couvrir mon ouvrage de son ordure. Tous ceux qui s'intéressent à l'honneur de la nation m'ont mandé que j'avais très bien fait de déférer ce maraud à la postérité. J'en ai d'ailleurs des raisons particulières et personnelles d'en user ainsi.

Je vous enverrai mon exemplaire de l'ingénu par la première poste. Je n'ai point les Illinois. Voulez vous bien avoir la bonté de me les envoyer?

Adieu, je passe la moitié de la journée à souffrir et l'autre à travailler.