2 7bre 1767
Nous nous apprêtons à célébrer la convalescence; il y aura comédie nouvelle, souper de quatre-vingts couverts; c'est bien pis que chez mr de Pompignan; et puis, nous aurons bal et fusées.
J'envoyai par le dernier ordinaire un ingénu par m. le duc de Praslin pour amuser la convalescente et vous aurez, mes anges, pour votre hiver les tragédies de messrs de Chabanon et de la Harpe. Cela n'est pas trop mal pour des habitants du mont Jura, mais en vérité vous autres Welches vous êtes des habitants de Montmartre. Je vous assure que les Guillaume Tell et les Illinois sont aux Danchet et aux Pellegrin ce que les Pelegrin et les Danchet sont à Racine; je ne crois pas qu'il y ait une ville de province dans laquelle on pût achever la représentation de ces parades qui ont été applaudies à Paris. Cela met en colère les âmes bien nées. Cette barbarie avancera ma mort. Le fonds des Welches sera toujours sot et grossier. Le petit nombre des prédestinés qui ont du goût n'influe point sur la multitude; la décadence est arrivée à son dernier période.
Vivez donc, mes anges, pour vous opposer à ce torrent de bêtises de tant d'espèces qui inondent la nation. Je ne connais depuis vingt ans aucun livre supportable, excepté ceux que l'on brûle, ou dont on persécute les auteurs. Allez, mes Welches, dieu vous bénisse, vous êtes la chiasse du genre humain. Vous ne méritez pas d'avoir eu parmi vous de grands hommes qui ont porté votre langue jusqu'à Moscou. C'est bien la peine d'avoir tant d'académies pour devenir barbares! Ma juste indignation, mes anges, est égale à la tendresse respectueuse que j'ai pour vous, et qui fait la consolation de mes vieux jours.
Tout Ferney se réjouit de la convalescence.
V.