1767-09-28, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mon cher ange, quoique vous ne m'écriviez point je suppose toujours que made D'Argental a repris sa santé, son embonpoint, sa gaieté et ses grâces, et qu'elle est tout comme je l'ai laissée il y a environ quinze ans.
Vous voulez que je vous envoie pour vous amuser la petite drôlerie qui nous a fait passer quelques heures agréablement dans nos déserts. La perfection singulière avec laquelle cette médiocrité a été jouée me fait oublier les défauts de la pièce, et me donne la hardiesse de vous l'envoyer. Je l'adresse sous l'enveloppe de mr de Courteille, et j'espère qu'elle vous parviendra saine et sauve.

On dit qu'on va reprendre l'affaire des Sirven en considération. Je commence à en avoir bonne espérance puisque mr de Beaumont a gagné son procès qui me donnait tant d'inquiétude. Il a la main heureuse. La justice du conseil est à la vérité comme celle de dieu, fort lente; mais enfin elle arrive. La justice du parterre est assez dans ce goût, elle fait gagner d'assez mauvais procès en première instance, et il lui faut trente années pour rendre justice à ce qui est passable.

On m'a mandé qu'il n'y aurait point de spectacles à Fontainebleau. La chasse suffit, mais comme vous aimez mieux la comédie que la chasse, je vous supplie de me mander des nouvelles du tripot.

Pour l'autre tripot qui a condamné l'ingénu à ne plus paraître, je ne vous en parle point, mais quand je dis qu'il y a des Welches dans le monde, vous m'avouerez que j'ai raison.

Mille tendres respects à la convalescente.

V.