1767-08-22, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

Je sais, monsieur, que vous vous amusez quelquefois de littérature.
J'ai fait chercher l'Ingénu pour vous l'envoyer et j'espère que vous le recevrez incessament. C'est une plaisanterie assez innocente d'un moine défroqué, nommé Laurent, auteur du Compère Mathieu.

J'ai vu à Ferney depuis peu de jours votre ami qui est menacé de perdre entièrement les yeux et dont la santé est très altérée. Il m'a montré des lettres des ministres, de messieurs les maréchaux de Richelieu et d'Estrées, et de toute la maison de Noailles au sujet de la Beaumelle. Il m'a dit que ses démarches étaient absolument nécessaires, que les écrits de la Beaumelle étaient répandus dans les pays étrangers et qu'on n'y recherchait même d'autre édition du Siècle de Louis 14 que celle qui a été faite par ce malheureux, et qui est chargée de falsifications et de notes infâmes. Ce Labeaumelle est un énergumêne du Languedoc, un esprit indomptable qu'il a fallu écraser. Le canton de Berne, outragé dans ses libelles, en a demandé justice au ministère.

On dit que m. de Beaumont fait le factum pour les protestants de Guienne accusés d'avoir assassiné les curés. Je ne vois pas comment il peut faire à Paris un mémoire sur une enquête secrète instruite à Bordeaux.

Pourriez vous, monsieur, avoir la bonté de me faire parvenir le petit livre de la théologie portative ? Vous savez qu'on n'a pas voulu faire une seconde édition de l'ouvrage de mathématique. Le libraire dit qu'on est surchargé d'éléments de géométrie. Il n'y a plus de livres qu'on imprime plusieurs fois que les livres condamnés. Il faut aujourd'hui qu'un libraire prie les magistrats de brûler son livre pour le faire vendre.

Votre ami malade vous fait les plus tendres compliments; Je vous prie de faire tenir le billet ci-joint.

J'ai l'honneur d'être, monsieur, votre t. h. e. t. o. s.

Boursier