1767-07-04, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

Vous savez, mon cher ami, que ce fut vous qui dans le temps du triomphe de la famille Calas et de m. de la Vaysse, m'apprîtes que m. de la Vaysse était beaufrère de ce malheureux la Beaumelle.
M. son père m'écrivit de Toulouse quelque temps après que made sa fille, veuve d'un homme assez riche, avait en effet épousé la Beaumelle malgré toutes ses représentations. Je fus affligé qu'une famille à laquelle je m'intéresse, fût alliée à un homme si coupable, mais je n'en demeurai pas moins attaché à cette famille.

Vous n'ignorez pas que j'ai reçu un nombre prodigieux de lettres anonymes dans ma retraite. J'en ai reçu 94 de la même écriture, et je les ai toutes brûlées. Enfin j'en ai reçu une quatrevingtquinzième qui ne peut être écrite que par La Beaumelle ou par son frère, ou par quelqu'un à qui il l'aura dictée, puisque dans cette lettre il n'est question que de La Beaumelle même. J'ai pris le parti de l'envoyer au ministère. J'avais d'ailleurs le dessein d'instruire le public littéraire de cette étrange manœuvre, et de faire connaître celui qui outrageait ma vieillesse avec tant d'acharnemt pour récompense des services rendus à la famille dans laquelle il est entré.

J'ai même envoyé à m. de la Vaysse le père cette déclaration que je devais rendre publique, et que j'ai supprimée en attendant que je prenne une résolution plus convenable.

Dans ces circonstances m. de la Vaysse de Vidou m'a écrit le 25 juin; il ignore apparemment la conduite de son beau-frère. Je le plains beaucoup; je vous prie de lui faire part de mes sentiments, et de lui montrer cette lettre.

Je crains bien que nous n'ayons d'autre parti à prendre que celui de la résignation et de la douleur au sujet des Sirven. Ils sont innocents, on n'en peut douter; on leur a ôté leur honneur et leurs biens; on les a condamnés à la mort comme parricides, on leur doit justice; mais d'un côté le malheureux procès de mr de Beaumont, de l'autre la présence de m. le procureur général du Languedoc qui soutiendra les droits de son parlement, et, enfin les bruits affreux qui courent sur les protestants des provinces méridionales, ne permettent pas de se flatter qu'on puisse s'adresser au conseil avec succès. Les nouvelles horreurs de Labeaumelle sont encore un obstacle. Toutes ces fatalités réunies laissent peu d'espérance. Vous voyez les choses de plus près, je m'en rapporte à vous; je vous supplie de m'instruire de l'état des choses.

La multitude de lettres que j'ai à écrire aujourd'hui et ma santé qui baisse tous les jours me mettent hors d'état de répondre aussi au long que je le voudrais à m. Lavaysse de Vidou. Le peu que je vous écris, mon cher ami, suffira pour le convaincre de mes sentiments et de l'état où je me trouve. Ayez donc la bonté encore une fois de lui faire lire cette lettre; c'est tout ce que je puis vous dire dans l'incertitude où je suis et dans les souffrances de corps que j'éprouve. Je vous embrasse tendremt et j'attends mes consolations de votre amitié.