30 mars [1765]
Mon cher frère,
Je vous crois instruit des démarches du parlement de Toulouze, qui a défendu qu'on affichât l'arrêt des maîtres des requêtes et qui s'est assemblé pour faire au roi de belles remontrances tendant à faire déclarer bien roués tous ceux qui ont été roués par le dit parlement.
Je ne sais pas si ces remontrances auront lieu. J'ignore jusqu'à quel point la cour ménagera le parlement des Visigots. C'est dans cette incertitude que j'ai conseillé à la veuve Calas de ne point hasarder la prise à partie, sans faire pressentir les deux ministres dont dépend sa pension; mais je me rendrai à l'avis que vous aurez embrassé.
J'attends tous les jours à Toulouse la copie authentique de l'arrêt qui condamne toute la famille Sirven; arrêt confirmatif de la sentence rendue par un juge de village; arrêt donné sans connaissance de cause; arrêt contre lequel tout le public se souléverait avec indignation si les Calas ne s'étaient pas emparés de toute sa pitié. Je ne conseillerais pas à un auteur de donner une seconde pièce patriotique. Il n'y a que le zèle de m. de Beaumont qui soit inépuisable; le public se lasse bien vite d'être généreux.
Je reçois dans le moment la sentence des Sirven. Je les croyais roués et brûlés, ils ne soit que pendus. Vous m'avouerez que c'est trop s'ils sont innocents et trop peu s'ils sont parricides. Les complices bannis me paraissent encore un nouvel affront à la justice, car s'ils sont coupables d'un parricide, ils méritent la mort. Il n'y a pas le sens commun chez les Visigots. Je crois qu'après les Sirven les gens les plus à plaindre sont ceux qui liront ces horreurs.
Je suis bien malade. Tout baisse chez moi hors mes tendres sentiments pour vous; je me soumets à l'être des êtres et aux lois de la nature.