3 avril 1765
Pourquoi faut il que de mes deux anges, il y en ait toujours un qui tousse?
Permettez moi de consulter Tronchin sur cette toux. Il n'y aurait qu'à en faire l'histoire, et sur cette histoire Tronchin donnerait ses conclusions.
J'envoie à mes anges une autre sorte d'histoire dont il y a aussi de bonnes conclusions à tirer. Feu Mr l'abbé Bazin était un bon chrétien qui n'était point superstitieux; il laisse entrevoir modestement que les Juifs étaient une nation des plus nouvelles, et qu'ils ont pris chez les autres peuples toutes leurs fables, et toutes leurs coutumes. Ce coup de poignard une fois enfoncé avec tout le respect imaginable, peut tuer le monstre de la superstition dans le cabinet des honnêtes gens, sans que les sots en sachent rien.
Mes anges sont suppliés de faire part à frère Damilaville des pilules qui leur ont été apportées par un Suédois et par deux Suisses. Ces pilules quoique condamnées par les charlatans font beaucoup de bien à un malade raisonnable.
Mrs du parlement de Toulouse ne paraissent pas être du nombre de ces derniers. Mes anges sont instruits sans doute que ces messrs s'assemblèrent le vingt mars pour rédiger des remontrances tendant à demander, ou ordonner que tous ceux qu'ils auront fait rouer soient désormais déclarés bien roués, et que surtout on maintienne la belle procession annuelle dans laquelle on remercie dieu en masque du sang répandu de trois à quatre mille citoyens, il y a quelque deux cents ans. De plus messrs ont défendu sous des peines corporelles d'afficher l'arrêt qui justifie les Calas. Mrs me paraissent opiniâtres.
Mais ce frère appartient à l'humanité avant d'appartenir à messieurs.
Si la réponse du roi au parlement de Bretagne est telle qu'on la trouve dans les papiers publics, il paraît que la cour sait quelquefois réprimer messrs. Il paraît aussi que le public commence à se lasser de cette démocratie. Ce public brise souvent ses idoles et au bout de quelques mois, il arrive que les applaudissements se tournent en sifflets. (Ceci soit dit en passant).
Je remercie bien humblement mes anges de leur passeport, et je les supplie de vouloir bien dire à mr le duc de Praslin combien je suis touché de ses bontés.
Je trouve que la gratification ou pension que l'on demandait au roi pour ces pauvres Calas tarde beaucoup à venir; c'est ce qui m'a déterminé à leur conseiller de faire pressentir mr le vice chancelier, et mr le contrôleur général sur la prise à partie, afin de ne point indisposer ceux de qui cette pension dépend. Mais je peux me tromper, et je m'en rapporte à mes anges, qui voient les choses de plus près et beaucoup mieux que moi.
Je ne peux pas dicter davantage, car je n'en peux plus. Je me meurs avec la folie de planter et de bâtir, et avec le chagrin de n'avoir pas vu mes anges depuis douze ans.