à Genêve , ce 25 juin 1769
J'ai reçu, monsieur, la lettre dont vous m'honorez en date du 17 juin.
Je vous prie de permettre que ma réponse figure avec votre lettre dans le Mercure de France qui devient de jour en jour plus agréable, attendu qu'il est rédigé par deux hommes qui ont beaucoup d'esprit, ce qui n'est pas rare, et beaucoup de goût, ce qui est assez rare.
Je n'ai point encore montré votre lettre au bon vieillard, contre lequel vous voulez toujours avoir raison. Son nom, dites vous, s'est trouvé au bout de votre plume, quand vous écriviez sur Zoroastre. Mais, monsieur, il n'a rien de commun avec Zoroastre que d'adorer dieu du fonds de son cœur et d'aimer passionément le soleil et le feu, son âge de 76 ans et ses maladies lui ayant fait perdre toute chaleur naturelle, jusqu'à celle du style.
Je suis très aise pour votre bourse que vous ayez perdu l'envie de parier; je vous aurais fait voir que dans son dernier voyage en Perse avec feu l'abbé Bazin, il composa une tragédie persane intitulée Olimpie. Il dit, dans les remarques sur cette pièce, 'quant à la confession . . . elle est expressément ordonnée par les lois de Zoroastre qu'un trouve dans le Sadder'.
Je vous aurais prié de lire dans d'autres Remarques de sa façon sur L'histoire générale, page 26. 'Les mages n'avaient jamais adoré ce que nous appellons le mauvais principe . . . ce qui se voit expressément dans le Sadder ancien commentaire du livre du Zend'.
Je vous montrerais à la page 36 du même ouvrage ces propres mots, 'puisqu'on a parlé de L'Alcoran on aurait dû parler du Zenda Vesta, dont nous avons l'extrait dans le Sadder'.
Vous voyez bien, monsieur, qu'il ne prenait point le livre du Sadder pour un capitaine persan et que vous ne pouvez en conscience dire de lui:
Je ne demande pas qu'en vous rétractant vous apportiez un sac plein d'or pour payer votre pari, avec une épée pour en être percé à discrétion par l'offencé. Je connais ce bonhomme; il ne veut assurément ni vous ruiner, ni vous tuer; et d'ailleurs on sait que dans les dernières cérémonies persanes il a pardonné publiquement à ceux qui l'avaient calomnié auprès du sophi.
Je suis très étonné, monsieur, que vous prétendiez l'avoir fâché: car c'est le vieillard le moins fâché et le moins fâcheux que j'aie jamais connu. Je vous félicite très sincèrement de n'être point du nombre des critiques qui après avoir voulu décrier un homme s'emportent avec toutes les fureurs de la pédanterie et de la calomnie contre ceux qui prennent modestement la défense de l'homme vexé. Je renvoie ces gens là à la noble et judicieuse lettre de m. le comte de L . . . T . . . qui a si généreusement combattu depuis peu en faveur du neveu de l'abbé Bazin. Vous semblez être d'un caractère tout différent; vous entendez raillerie; vous paraissez aimer la vérité.
Adieu, monsieur, vivons en honnêtes Parsis, ne tuons jamais le coq, récitons souvent la prière de l'Ashim Vuhu. Elle est d'une grande efficacité et elle appaise toutes les querelles des savants, comme le dit la porte 39.
Lorsque nous mangeons, donnons toujours trois morceaux à notre chien, parce qu'il faut toujours nourrir les pauvres et que rien n'est plus pauvre qu'un chien, selon la porte 35.
Ne dites plus, je vous prie, que le Sadder est un plat livre: hélas! monsieur, il n'est pas plus plat qu'un autre. Je vous salue en Zoroastre et j'ai l'honneur d'être en bon Français, monsieur votre &c
Bigez