15 mars 1765
Oui sans doute, mon ange adorable, j'ai été infiniment touché du mémoire du jeune Lavaisse, de sa simplicité attendrissante, et de cette vérité sans ostentation qui n'appartient qu'à la vertu.
Je vous demande en grâce de m'envoyer l'arrêt dès qu'il sera prononcé. Vous savez que ce David, auteur de tout cet affreux désastre, était un très malhonnête homme. Le fripon a fait rouer l'innocent; le voilà bien reconnu, il a été destitué de sa place. J'espère qu'il payera chérement le sang de Calas.
C'est une étrange fatalité qu'il se trouve en même temps deux affaires pareilles. Je sais que la plupart des calvinistes de Languedoc sont de grands fous, mais ils sont fous persécutés, et les catholiques de ce pays là sont fous persécuteurs.
J'ai envoyé à m. D'Amilaville le détail de cette seconde aventure qu'il doit vous communiquer. Il y a des malheurs bien épouvantables dans ce meilleur des mondes possibles.
Je suppose, mon cher ange, que vous avez reçu ma lettre à m. Berger, dont j'ignore la demeure comme j'ignorais son existence. Je vous demande bien pardon de vous avoir importuné d'une lettre pour un homme qui est à la fois indiscret et dévot.
J'ai vu votre Suédois, il retourne à Paris et s'est chargé d'un paquet pour vous. Le Génevois qui est chargé d'un autre, doit être déjà parti. Je vous supplierai de donner à frère d'Amilaville les brochures dont vous ne voudrez pas. Je crois qu'il y en a seize, cela fait seize pains bénits pour les fidèles. Songez, je vous en prie, combien la superstition a fait périr de Calas, depuis plus de quatorze cents années. Est il possible que ce monstre ait encore des partisans! Mon horreur pour lui augmente tous les jours, et je suis affligé quand je vois des gens qui en parlent avec tiédeur.
J'espère que je verrai bientôt le Siège de Calais imprimé, et que j'applaudirai avec connaissance de cause. On peut très bien envoyer par la poste à Genève des livres contresignés, mais il n'en est pas de même de Genève à Paris; vous permettez l'exportation, mais non pas l'importation.
Je ne sais ce qu'a le tyran du tripot, mais il est toujours plein de mauvaise humeur, et il ne laisse pas de me le faire sentir. L'ex-jésuite prétend qu'il faut qu'il attende encore quelque temps pour revoir les roués, que les Romains ne sont pas de saison, qu'il faut attendre des occasions favorables. Voyez si vous êtes de cet avis. Je suis d'ailleurs occupé actuellement à augmenter ma chaumière, et si je m'adressais à Apollon, ce serait pour le prier de m'aider dans le métier de maçon. On dit qu'il s'entend à faire des murailles, cependant ses murailles ont tombées comme bien d'autres pièces.
Mais pourquoi m. Fournier souffre-t-il que made d'Argental tousse toujours? Je me mets à ses pieds; ma petite famille vous présente à tous deux ses respects.
V.