1765-01-12, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mes divins anges, j'ai oublié dans ma requête à m. le duc de Praslin, de spécifier que ce vieux de Moultou qui veut promener sa vieille vessie à Montpellier, a un fils qu'on appelle prêtre, ministre du stévangile, pasteur d'ouailles calvinistes, et qui n'est rien de tout cela; c'est un philosophe des plus décidés, et des plus aimables.
J'ignore si sa qualité de ministre évangélique s'oppose aux bontés d'un ministre d'état. J'ignore s'il est nécessaire que mr le duc de Praslin ait la bonté de faire mettre dans le passeport, le sr de Moultou et son fils le prêtre. Je m'en rapporte uniquement à la protection et à la complaisance de m. le duc de Praslin; les maux que souffre Moultou le père sont dignes de sa pitié. Il n'y a pas un moment à perdre si on veut lui sauver la vie. Tronchin inocule, mais il ne taille point de la pierre.

NB. Je suis fâché pour la philosophie que Jean Jaques Rousseau ait commencé par être fou, et finisse par être un très malhonnête homme. Il veut mettre le trouble dans Genêve par un assez mauvais livre contre le gouvernement de cette ville, et contre la médiation. Il a envoyé cet insolent ouvrage au président qui en aura sans doute instruit m. le duc de Praslin. Il a déchaîné la populace contre le magistrat, mais j'espère que ce petit désordre n'aura pas de suites, et que vous n'enverrez pas des troupes à Genêve comme en Corse.

Mes anges, je baise toujours le bout de vos ailes.

V.

Puisque j'ai acquis un œil je vais donc me remettre à la conspiration des roués, mais encore une fois trouvez moi des acteurs, ou faites jouer les roués à l'opéra comique.

Je recommande à vos bontés la petite affaire de m. Moultou et je supplie m. le duc de Praslin de vouloir bien m'adresser le passeport. Pour moi je crois que j'en aurai un bientôt pour l'autre monde. Vivez heureux dans celuici, mes très adorables anges.

V.