[?9] février 1765
Mon divin ange, je ne vous croyais pas si ange de ténèbres que le dit cet abominable fou de Vergy.
Je me souviens bien que Rochemore vous appelait furie, mais c'était par antiphrase, comme disent les doctes. Je ne crois pas que ce Vergy trouve beaucoup de partisans, ni même de lecteurs. Je ne crois pas qu'il y ait un plus ennuyeux coquin. N'est ce pas un parent de Fréron? Dites moi je vous prie si on joue quelquefois l'Ecossaise; j'ai peur qu'elle ne soit au rang des pièces que le tyran du tripot empêche de jouer par sa belle disposition des rôles. Je lui ai écrit en dernier lieu, je lui écrirai encore. J'ai peur qu'une grande actrice dont on m'a envoyé la médaille ne soit pas absolument dans vos intérêts. Je reconnais votre cœur au combat qu'il éprouve entre la reconnaissance et la tyrannie tripotière. Je suis à peu près dans le même cas que vous, mais étant plus vieux, je suis un peu plus indifférent. Me voici dans un moment d'apathie, même pour les roués. Avertissez moi, je vous prie, mon cher ange, quand vous aurez quelque bon acteur, cela me ressucitera peut-être.
Vous m'avez fait espérer que mon petit prêtre apostat Moultou qui est un des plus aimables hommes du monde, serait nommé dans le passeport. J'attends cette petite faveur avec un peu de douleur, car je serai très fâché qu'il nous quitte. Il aime la comédie à la fureur, je ne suis pas de même. Il y a des prêtres qui se dégoûtent de dire la messe. Je ne suis pas moins dégoûté des Délices. Les tracasseries de Genève me sont insipides, et m'étant aperçu que je n'ai qu'un corps, j'ai conclu qu'il ne me fallait pas deux maisons; c'est bien assez d'une. Il y a des gens qui n'en ont point du tout, et qui valent mieux que moi.
Tout Ferney s'intéresse bien fort à la toux de made d'Argental. Les deux anges ont ici des autels.