1743-11-14, de Frederick II, king of Prussia à Voltaire [François Marie Arouet].
Dites enfin sincèrement,
Quitterez vous bien sûrement
L'empire de Midas, votre ingrate patrie,
Ce Mirepoix en dieu pédant,
Ce fol de la vierge Marie?
Quitterez vous bien poliment
De madame l'Académie
Le concile très éloquent,
Qui vous bannit en mécréant?
Fuirez vous la brigue ennemie,
Qu'excite contre vous un Zoïle impudent,
Et voudrez vous enfin voir couler votre vie
Parmi nos arts naissants bien plus tranquillement?
Oui, je crois que votre génie,
Ennemi de la tyrannie
Aux fougues d'un prêtre insolent
Préférera très sagement
La facile douceur de la théologie,
L'esprit modeste et tolérant,
Que chacun professe céans,
Loin du jargon barbare où la sainte furie
Se déploie encore pleinement,
Où sous le titre d'hérésie
On vous rôtit très saintement.
Il vaut mieux penser haut et penser librement
Que d'avoir la face obscurcie
Toujours par le masque indécent
De l'humble et souple hypocrisie.
Ah! pourquoi respecter d'un prélat arrogant
La ridicule fantaisie
Et digérer par courtoisie
Ce que vous savez bien, d'un air pénitent;
Enfin pour surcroît d'agrément
Dans votre dernière agonie
Etre huilé bien proprement?
Non ce ragoût assurément
N'est point pour votre seigneurerie.
Les lauriers sont le sacrement
De vos sujets en poésie.
Des cieux de la philosophie
Vous ne voyez qu'en vous riant
Des erreurs des humains la charlatanerie.
Mais malgré ce motif puissant,
Malgré tout ce qui vous convie
De prendre un autre engagement,
Je crains qu'un regard d'Emilie,
Tout d'un coup clandestinement
Ne détruise notre partie.

Mandez moi bien positivement ce que David Girard doit faire et ne m'exposez pas à la honte d'avoir meublé une maison pour n'y loger personne.

Si je n'avais eu l'hérésipèle à la jambe avec une grosse fièvre, je vous aurais répondu plus exactement, mais voilà mon excuse. Vous voulez absolument avoir mes médailles, je vous les envoie; donc:

Voulez vous que j'envoie en France
Ces médaillons nouveaux, monuments de ma paix?
A juger selon l'apparence,
On hait également le revers et mes traits.

Je vous souhaite mille bonheurs, pendant le séjour que vous ferez à Paris, surtout je souhaite de vous revoir ici sain, gai et aussi aimable que vous nous avez quitté. Vale.

Federic