1743-05-21, de Frederick II, king of Prussia à Voltaire [François Marie Arouet].
Depuis quand, dites moi, Voltaire,
Etes vous donc régénéré
Chez un philosophe épuré?
Quoi ! la grâce efficace opère!
De Mirepoix endoctriné,
Et tout aspergé d'eau bénite,
Abattu d'un jeûne obstiné,
Allez vous devenir ermite?
D'un ton saintement nasillard,
Et marmottant quelque prière,
En bâillant lisant le bréviaire,
On vous enrôle à Saint-Médard,
Avec indulgence plénière.
Je vois Newton au haut des cieux,
Se disputant avec saint Pierre,
Auquel, en partage, des deux
Pourrait enfin tomber Voltaire.
Le saint faisant une oraison,
Au lieu du compas scientifique
Que vous donne le grand Newton,
Vous offre une belle relique,
Vous éclaircit et vous explique
L'œuvre de la conception,
Tandis qu'au Parnasse Apollon
Se plaint, et voit avec grand'peine
Qu'on enlève au sacré vallon
L'élégance de votre veine,
Et que ce cygne harmonieux
Qui charmait les bords de la Seine
Profanera l'eau d'Hippocrène
Pour des prêtres fastidieux.
Mais quel objet me frappe, ô dieux!
Locke à la main, désespérée,
Et de douleur tout éplorée,
Je vois la triste Châtelet;
Hélas! mon perfide me troque,
Dit elle, et me plante là net,
Pour qui? pour Marie à la coque!

C'est ce que je présume par la lettre que vous avez écrite à l'évêque de Sens, et sur ce que toutes les lettres mandent de Paris. Vous pouvez juger de ma surprise et de l'étonnement d'un esprit philosophique, lorsqu'il voit plier les genoux devant l'idole de la superstition au ministre de la vérité.

Les Midas mitrés triomphent, dans ce siècle, des Voltaire et des grands hommes. Mais c'est apparemment le siècle où les ignorants doivent en tout genres être préférés, en France, aux savants et aux habiles gens. O tempora! o mores!

Quarante savants perroquets,
Tour à tour maîtres et valets
De l'usage et de la grammaire,
Placés au Parnasse français,
Vous en ont donc exclu, Voltaire?
C'est sans doute par vanité.
Ce refus n'est pas ridicule;
Une aussi brillante clarté
Eût de leur faible crépuscule
Terni la frivole beauté.

Je crois que la France est le seul pays en Europe où les ânes puissent à présent faire fortune. Je vous envoie l'avant propos de mes Mémoires; le reste n'est point ostensible.

Si je ne vous écris pas aussi souvent que je le voudrais, ne vous en prenez point à moi, mais à tant et tant d'occupations qui me partagent.

Je vous excommunie, si vous ne m'envoyez la Pucelle, une infinité de charmants vers et de traductions, que vous avez faites et ce que vous aurez travaillé sur l'Histoire universelle de l'esprit humain.

Adieu, cher Voltaire; ne m'oubliez point, malgré mon silence, et croyez que, sur le sujet de l'amitié, je ne pense pas moins à vous qu'autrefois.

Federic