1756-01-29, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jacob Vernes.

Il est vrai, mon cher monsieur, que vous m'avez envoyé des vers, mais j'aime bien mieux votre prose.
Je n'ai point d'admirateurs, je n'en veux point: je veux des amis, et surtout des amis comme vous.

On dit que vous avez prononcé un discours admirable sur le malheur de Lisbonne, et qu'on ne voudrait pas que cette ville eût été sauvée, tant votre discour a paru beau. Vous avez encore Méquinez, et quelque cent mille Arabes qui ont été engloutis sous la terre: cela peut servir merveilleusement votre éloquence chrétienne, d'autant plus que ces pauvres diables étaient des infidèles.

Tous ces désastres ont privé Lausanne de la comédie. On a joué Nanine à Berne; mais pour expier ce crime affreux, on a indiqué un jour de jeûne. Made Denis, qui ne jeûne point, a été très fâchée qu'on ne bâtit point un théâtre à Lausanne, mais cela ne l'a point brouillée avec les ministres. Il en vient quelques uns dans mon petit ermitage à Monrion. Ils sont tous fort aimables et très instruits. Il faut avouer qu'il y a plus d'esprit et de connaissance dans cette profession que dans aucune autre. Il est vrai que je n'entends point leurs sermons, mais quand leur conversation ressemble à la vôtre, je vous assure qu'ils me plaisent beaucoup plus.

Mille compliments à toute votre famille, et à mr et mde de Labat.

Adieu, je vous embrasse de tout mon cœur, sans cérémonie.