à Monrion, près Lausanne ce 13 janvier 1756

Vous me proposez monsieur les plus belles étrennes du monde.
Je les accepte de grand cœur. Il n'y a point de Suisse dans les treize cantons qui aime mieux l'histoire de France que moi, et c'est vous qui me l'avez fait aimer. Vous avez la bonté de m'annoncer votre cinquième édition. Soyez sûr que vous verrez la trentième. Vous avez rendu un très grand service au public en augmentant d'un tiers un ouvrage si utile. Vous êtes d'ailleurs fort heureux qu'on ne vous vole point vos manuscrits, et qu'on ne vous les défigure pas.

Vous me demandez comment on peut m'envoyer mes étrennes; très aisément en les mettant à la poste avec le contreseing d'un de vos amis, et en me les adressant en droiture à Genève. Il est vrai que je passe mon hiver dans mon ermitage auprès de Lausanne, mais tout me vient par Genève, c'est la grande route.

Après le don de votre excellent livre le plus grand plaisir que vous puissiez me rendre c'est de dire à mad^e du Deffant combien je m'intéresse toujours à elle. Je ne lui écris point parce que dans ma solitude je n'ai rien de commun avec ce monde. Je suis devenu Suisse et jardinier. Je sème et je plante. Je n'oublie point les personnes auxquelles j'ai été attaché, mais je ne les ennuie point de mes inutiles lettres.

Je suis très aise pour l'Académie des inscriptions, que vous remplissiez et que vous honoriez la place du théatin; je n'en savais rien: je ne lis ni gazette ni mercure; je ne sais plus l'histoire de mon siècle; et je n'ai guère de correspondance qu'avec le jardinier des Chartreux, quoique l'apparition de la pucelle fasse dire à mes ennemis que c'est avec leur portier que je suis en habituel commerce.

Mad. Denis vous fait mille compliments. Je me flatte que votre ami n'a plus la goutte. Les circonstances présentes semblent demander un homme ingambe, mais il sera toujours assez leste quand même il aurait le pied emmaillotté.

Recevez mes très sincères remerciement et mon attachement le plus sincère.

V.