1770-01-26, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean François de La Harpe.

Dieu et les hommes vous en sauront gré, mon cher confrère, d'avoir mis en Drame, l'avanture de cette pauvre novice qui en se mettant une corde au cou apprit aux pères et aux mères à ne jamais forcer leurs filles à prendre un malheureux voîle.
Celà est digne de l'auteur de la réponse à ce fou mélancolique de Rancé. Savez vous bien que cette réponse est un des meilleurs ouvrages que vous aiez jamais faits? On l'imprime actuellement dans un recueil qu'on fait à Lausanne. Savez vous bien ce que vous devriez faire, si vous avez quelque amitié pour moi? me faire envoier vôtre école des pères et mères acte par acte. Nous la lirions made Denis et moi. Nous méritons tout deux de vous lire.

Je suis bien étonné que Pankouke ne vous ait rien dit au sujet de la partie Littéraire du nouveau dictionaire enciclopédique. Mais il était engagé avec Mr Marmontel qui fera tout ce qui regarde la Littérature. Peutêtre donnera t-on dans quelque tems un petit supplément, mais vous savez que les libraires mes voisins ne sont pas gens à encourager la jeunesse, comme on fait à Paris. Je craindrais fort que vous ne perdissiez vôtre tems, et je vous conseille de l'emploier à des choses qui vous soient plus utiles. Je voudrais que chacune de vos lignes vous fût paiée comme aux Robertsons.

J'ai lu un petit ouvrage de mr de Falbaire où il fait voir que depuis les premiers commis des finances jusqu'au portier de la comédie, tout le monde est bien paié, hors les auteurs.

Mais quand aurons nous le Suetone? quand nous montrerez vous comment il faut traduire, et comment il faut commenter?

Je viens de recevoir le mercure. Je vous suis bien obligé d'avoir séparé ma cause de celle de mon prédécesseur Garnier.

Seriez vous assez aimable pour vous charger d'une petite négociation auprès de mr de Lacombe? Les personnes qui ont enterpris un supplément à l'Enciclopedie, voudraient au mot critique, rendre à Catherin Fréron tout la justice qu'ils lui doivent. J'avais demandé à Lacombe le recueil des mallessemaines de maître Aliboron. Il pouvait m'envoier ce fatras par les charettes qui doivent être la voiture de l'auteur; je n'ai point eu de réponse, et celà n'est pas bien. Il faut avoir plus d'attentior pour Fréron que vôtre ami n'en a.

Je vous embrasse de tout mon Cœur.

V.