à Cirey, 19 octobre 1738
Je n'ai point reçu votre lettre, monsieur, comme un compliment: je sais trop combien vous aimez la vérité.
Si vous n'aviez pas trouvé quelques morceaux dignes de votre attention dans les élémens de Newton, vous ne les auriez pas loués.
Cette philosophie a plus d'un droit sur vous: elle est la seule vraie; et monsieur votre frère de Pouilli est le premier en France qui l'ait connue. Je n'ai que le mérite d'avoir osé effleurer le premier en public ce qu'il eût approfondi, s'il eût voulu.
Je ne sais si ma santé me permettra dorénavant de suivre ces études avec l'ardeur qu'elles méritent; mais il s'en faut bien qu'elles soient les seules qui doivent fixer un être pensant. Il y a des livres sur les droits les plus sacrés des hommes, des livres écrits par des citoyens aussi hardis que vertueux où l'on apprend à donner des limites aux abus, et où l'on distingue continuellement la justice et l'usurpation, la religion et le fanatisme. Je lis ces livres avec un plaisir inexprimable; je les étudie; et j'en remercie l'auteur quel qu'il soit.
Il y a quelques années, monsieur, que j'ai commencé une espèce d'histoire philosophique du Siècle de Louis XIV: tout ce qui peut paraître important à la postérité doit y trouver sa place; tout ce qui n'a été important qu'en passant, y sera omis. Les progrès des arts et de l'esprit humain tiendront dans cet ouvrage la place la plus honorable. Tout ce qui regarde la religion y sera traité sans controverse; et ce que le droit public a de plus intéressant pour la société, s'y trouvera. Une loi utile y sera préférée à des villes prises et rendues, à des batailles qui n'ont décidé de rien. On verra dans tout l'ouvrage le caractère d'un homme qui fait plus de cas d'un ministre qui fait croître deux épis de blé là où la terre n'en portait qu'un, que d'un roi qui achète ou saccage une province.
Si vous aviez, monsieur, sur le règne de Louis XIV quelques anecdotes dignes des lecteurs philosophes, je vous supplierais de m'en faire part. Quand on travaille pour la vérité, on doit hardiment s'adresser à vous et compter sur vos secours. Je suis, monsieur, avec les sentiments d'estime les plus respectueux, &a.