1739-01-02, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Baptiste de Boyer, marquis d'Argens.

Je reçois votre paquet, mon cher ami, et je vous félicite de deux choses qui me paraissent importantes au bonheur de votre vie: de votre raccommodement avec votre famille et de votre ardeur pour l'étude.
Mais songez à votre santé, modérez vous, et n'étudiez dorénavant que pour votre plaisir. Tout ce qui sort de votre plume me fait grand plaisir, mais je fais plus de cas encore d'une bonne santé que d'une grande réputation.

Je ne désespère pas que vous ne reveniez un jour en France. Vous verrez qu'à la fin on aime à revoir sa patrie, ses proches, ses amis. Votre séjour dans les pays étrangers aura servi à vous orner l'esprit: vous auriez peut-être été en France un officier débauché, vous serez un savant, et il ne tiendra qu'à vous d'être un savant respecté. Le temps fait oublier les fautes de jeunesse, et le mérite demeure.

Ecrivez moi, je vous en prie, ce que vous savez des Ledet. S.E.m. Van Hoy, ambassadeur des états, leur a écrit vivement. Si vous avez quelques lumières à me donner, je n'en abuserai pas.

L'abbé Desfontaines, votre ennemi, le mien, et celui de tout le monde, vient de faire contre moi un libelle diffamatoire si horrible qu'il a excité l'indignation publique contre l'auteur, et la bienveillance pour l'offensé, peine ordinaire de la calomnie.

Rousseau est à Paris, sous le nom de Richer, caché chez le comte du Luc. On dit qu'il s'accommode avec le fils de Saurin, à qui le comte du Luc donne de l'argent. Le dévot Rousseau a débuté à Paris par des épigrammes qui sentent le vieillard apoplectique, mais non le dévot. Il a fait une ode à la Postérité, mais la postérité n'en saura rien; le siècle présent l'a déjà oubliée. Il n'en sera pas de même de vos lettres.

Je vous embrasse, je suis à vous pour jamais.