1761-06-19, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jacques Delille.

On est bien loin, monsieur, d'être inconnu comme vous le dites quand on a fait d'aussi beaux vers que vous, et surtout quand on y répand d'aussi nobles vérités et des sentiments si vertueux.
Vous pensez en excellent citoyen, et vous vous exprimez en grand poète. Je m'intéresse d'autant plus à la gloire que vous assurez à mr Laurent, que je m'avise de l'imiter en petit dans une de ses opérations. Je dessèche actuellement des marais; mais j'avoue que je ne fais point de bras. Cependant vous avez daigné parler de moi dans votre belle épître à cet étonnant artiste. J'avais déjà lu votre ouvrage qui a concouru pour le prix de l'académie. Je ne savais pas que je dusse joindre le sentiment de la reconnaissance à celui de l'estime que vous m'inspirez. Je vous félicite, monsieur, d'être en relations avec mr Duverney. Il forme un séminaire de gens dont quelques uns demanderont probablement un jour à m. Laurent des bras et des jambes. La noblesse française aime fort à se les faire casser pour son maître.

Je fais aussi mon compliment à m. Duverney d'aimer un homme de votre mérite; il en a trop pour ne pas distinguer le vôtre. Je me vante aussi, monsieur, d'avoir celui de sentir tout ce que vous valez. Recevez mes remerciements, non seulement de ce que vous avez bien voulu m'envoyer vos ouvrages, mais de ce que vous en faites de si bons.

J'ai l'honneur &a.

Voltaire