[January 1777]
Je sais que le hibou, favorisé des cieux,
De la sagesse est le symbole.
Si je ne t'avais vu, je croirais que les dieux,
Pour corriger notre espèce frivole,
Sous cette forme là t'ont placé parmi nous.
Quand Minerve te suit, ton sort me paraît doux;
Mais comme toi sait elle instruire et plaire?
C'est toujours en grondant qu'elle fait quelque bien;
Elle est maussade, atrabilaire,
Et son lugubre oiseau ne te ressemble en rien.
Se peint on un hibou qui passe en mélodie
L'Amphion des forêts, le cygne mantouan;
Qui des clairons de Mars, du luth de Polymnie,
Ou bien de la flûte de Pan,
Sait tirer la même harmonie?
Si l'on devient un aigle en fixant le soleil,
Sans doute j'en suis un; j'osai voir le génie
Qui n'eut jamais et n'aura son pareil,
Qui des sots préjugés affronta la manie,
Qui des torts de Thémis fut le réparateur,
L'ami de la raison, l'amant de la folie,
Et de l'humanité le joyeux bienfaiteur.
C'est toi seul qui, dans ton délire,
Toujours ou sublime ou charmant,
Planes sur tout ce qui respire,
Du haut des cieux, ton unique élément.
L'aigle n'est plus à Rome, il n'y reste qu'une oie,
De qui la Capitole est l'asile et la proie:
Elle l'avait sauvé dans un temps plus brillant.
Plus d'aigle nulle part; la nature épuisée,
Pour former ton être divin,
Depuis ce temps s'est reposée.
De perroquets au ramage malin,
De geais et de corbeaux je vois bien des volières;
Mais l'on verra plutôt sous les célestes sphères
Se rassembler deux astres éclatants,
Deux mondes et deux océans,
Que l'on ne verra deux Voltaires.