1760-04-03, de Frederick II, king of Prussia à Voltaire [François Marie Arouet].

Quelle rage vous anime encore contre Maupertuis?
Vous l'accusez de m'avoir trahi. Sachez qu'il m'a fait remettre ses vers bien cachetés après sa mort, & qu'il était incapable de me manquer par une pareille indiscrétion.

Laissez en paix la froide cendre
Et les mânes de Maupertuis;
La vérité va le défendre,
Elle s'arme déjà pour lui.
Son âme était noble & fidèle;
Qu'elle vous serve de modèle.
Maupertuis sut vous pardonner
Ce noir écrit, ce vil libelle,
Que votre fureur criminelle
Prit soin chez moi de griffonner.
Voyez quelle est votre manie.
Quoi! ce beau, quoi! ce grand génie,
Que j'admirais avec transport,
Se souille par la calomnie,
Même il s'acharne sur un mort!
Ainsi jetant des cris de joie,
Planant en l'air, de vils corbeaux
S'assemblent autour des tombeaux,
Et des cadavres font leur proie.
Non, dans ces coupables excès
Je ne reconnais plus les traits
De l'auteur de la Henriade;
Ces vertus dont il fait parade,
Toutes je les lui supposais.
Hélas; si votre âme est sensible,
Rougissez en pour votre honneur,
Et gémissez de la noirceur
De votre cœur incorrigible.

Vous en revenez encore à la paix. Mais quelles conditions! Certainement les gens qui la proposent n'ont pas envie de la faire. Quelle dialectique que la leur! Céder le pays de Clèves, parce qu'il est habité par des bêtes! Que diraient ces ministres, si on demandait la Champagne, parce que le proverbe dit: Nonante-neufs moutons & un Champenois font cent bêtes? Ah! laissons tous ces projets ridicules. A moins que le ministre français ne soit possédé de dix légions de démons autrichiens, il faut qu'il fasse la paix. Vous m'avez mis en colère; votre repentir obtiendra votre pardon. En attendant, je vous abandonne à vos remords & aux furies vengeresses qui poursuivent les calomniateurs, jusqu'à ce que cette religion naturelle que vous dites innée renouvelle les traces qu'elle avait autrefois imprimées dans votre âme. Vale.